La vieille au chapelet - Paul Cézanne. |
Il y a environ un mois je me suis retrouvée chez ma maman.
Elle est devenue une vieille femme difficile, elle ne pense plus qu’à son chapelet - plus grand’ chose de la vie sur terre ne l’intéresse vraiment.
Je lui en veux un peu de se laisser aller, de manquer de tenue, de ne pas soigner ses repas, de laisser de la nourriture périmée s’accumuler dans son réfrigérateur.
Elle qui a été si « parfaite » ne veut plus faire de cuisine.
Contre toute attente, elle propose de préparer un repas pour nous deux.
Mais quel repas ! Un Kaiserschmarren, un plat principal sucré typiquement autrichien - dans la langue courante on emploie le mot Schmarren pour désigner une situation bête, une gentille connerie ; en gastronomie il s’agit d’un plat composé d’œufs, de farine et de lait, une sorte de pâte à crêpe. On raconte que l’empereur François-Joseph aurait beaucoup apprécié ce mets, d’où son nom. Le plat a été amélioré en son attention - les blancs des oeufs sont désormais montés en neige. Ceci assouplit la texture de la pâte mais il faut alors de la dextérité pour la tourner dans la poêle et l’entailler directement afin de faire dorer toutes les faces des morceaux.
Je n’aime pas beaucoup ce plat.
Etant entraînée un peu à la bienveillance aimante, un quart de seconde d’écoute de la situation m’empêche d’exprimer illico mon aversion.
Je dis oui.
Je dis oui à ma mère.
Je vois ses mains grassouillettes, ses mouvements devenus lents - elle qui était toujours rapide, impatiente - son geste un peu maladroit. Elle mélange la pâte, monte les blancs d’oeufs en neige avec son mixer n’ayant pas servi depuis longtemps. Je la vois mettre une quantité considérable de graisse dans la poêle, je ne m’exclame pas ‘quelle horreur’, mais je la regarde faire. Et je vois qu’il se passe quelque chose, petit à petit c’est comme si la vie d’autrefois revenait en elle.
Elle est contente d’avoir réussi à donner la bonne consistance, d’avoir su tourner délicatement et de donner une belle couleur dorée.
Nous nous asseyons, saupoudrons de sucre glace, dégustons le Kaiserschmarren accompagné d’une compote de prunes rouges.
Ma mère est heureuse et se délecte.
Je suis heureuse aussi car quelque chose nous unit - nous sommes ensemble, nous partageons un repas fait par ses mains maternelles - ces mains que j’ai pu détester - maintenant, comme plongée dans cette enfance autrichienne par l’odeur et le goût du Kaiserschmarren, j’avale des larmes retenues.
Quand ma mère ne sera plus, plus personne ne préparera du Kaiserschmarren pour moi.
Elisabeth Larivière
Paris
Un beau souvenir à garder; c'est précieux. ..
RépondreSupprimerCe que tu nous livres est extrêmement touchant et dérangeant à la fois...
RépondreSupprimerC'est la vérité de nos vies, à l'état brut.
Aucun espace physique avec des modes culinaires. Juste l'espace culinaire. Et l'amour conjugué/ajointé.
RépondreSupprimerC'est bien joli cette bienveillance enfantée par l'agacement, il faudra y songer quand nous serons agacés !
RépondreSupprimerchère Catherine, je crois que quand on est agacé on ne sait plus trop si cela vient de soi ou de l'extérieur de soi, et je crois que l'important est que cela ne soit pas comme un espace physique et de pouvoir le toucher à partir de là. Pour moi, la vie de famille cela aide en ce sens. Amicalement. Alexis
SupprimerJ'en ai les larmes aux yeux. Plein de bisous !
RépondreSupprimerChère Elisabeth,
RépondreSupprimerMerci pour ce magnifique partage, si juste et si touchant.
Estelle
je ne vous connais pas mais maintenant un peu quand même: cet instant partagé est magnifiquement humain
RépondreSupprimerAmicalement
Merci pour votre commentaire que je transmets à Elisabeth.
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