samedi 10 juin 2017

Prendre soin de ses blessures

Nous avons tous très peur d’avoir mal, d’avoir trop mal, ou d’être trop inquiet, trop triste, trop seul, trop stressé… Nous avons parfois si peur que nous ne rencontrons aucunement ce qui nous arrive. Nous faisons tout pour l’éviter, pour nous éloigner de ces douleurs ou de ces peines, pour les noyer…
Premier réflexe : fuir devant la peine…

Avec l’entrainement que nous offre la méditation, nous apprenons à devenir un peu plus courageux : la méditation nous invite à accueillir ce qui est, comme c’est, sans bouger, sans chercher à faire quoi que ce soit, mais en regardant avec précision et douceur.

Alors au lieu de rester juste dans un inconfort flou, une douleur irréelle, une inquiétude sourde parfois même pas nommée, nous apprenons à entrer en relation avec nos peurs, nos incertitudes, nos malheurs. Et du fait même de les reconnaître nous pouvons commencer à en prendre soin, à les accueillir au lieu de les fuir, à les bercer au lieu de les ignorer. Car ignorer ce qui nous arrive ne marche jamais ! Nous sommes toujours rattrapés par la réalité.
Refuser le réel est toxique.
Il n’y a qu‘un seul héroïsme au monde : c’est de voir le monde tel qu’il est, et de l’aimer.
écrit Romain Rolland

Transformer les flèches en fleurs


En approchant avec délicatesse et curiosité de ces blessures qui nous transpercent parfois comme des flèches, nous leur permettons de se transformer, de se métamorphoser. Elles peuvent devenir l’occasion d’un travail plus fin et plus précis avec la vie.

Par exemple, quand on connaît une forme de tristesse qui nous assaille régulièrement, ou une inquiétude ordinaire qui nous gâche la vie si facilement, on peut lui dire bonjour, passer un moment avec elle, comme si l’on s’asseyait auprès d’un enfant malade ou en colère. 

Bonjour tristesse, bonjour colère, je te connais, je te reconnais… quel goût as-tu aujourd’hui ? Le même qu’hier ? Comment es-tu arrivée jusqu’ici ? Comment peut-on vivre ensemble là maintenant ?
Au lieu de résister à la douleur émotionnelle, nous sommes capable de dire oui à notre expérience.

Dans son livre L’acceptation radicale, Tara Brach décrit son expérience durant une séance de méditation où elle est invitée à regarder sa souffrance : 
«  Quand tout le monde a quitté la salle, les souvenirs ont fusé dans mon esprit… Je me suis détendue, le cœur et l’esprit grand ouvert, remplie de tendresse à l’égard de tout ce qui me faisait mal et semblait tellement déréglé. Je réalisais que toutes les disputes que j’avais pu avoir avec la vie – de la plus anodine autocritique jusqu’aux hontes les plus angoissantes – m’avaient séparée de l’amour et de la présence qui sont ma vraie demeure.  »

En accueillant notre vulnérabilité, nous développons de la bienveillance. C’est parce que nous sommes blessés que nous pouvons aimer. « Être vulnérable n’est pas une erreur mais un cadeau, une chance. On ne peut pas entrer en amitié avec soi sans être touché et un peu triste   » enseigne Fabrice Midal dans le Cours en ligne sur la Bienveillance


Au-delà des peines et des satisfactions, la joie d’être vivant.


Alors on découvre qu’au-delà de nos peurs, de nos peines, il y a une force de vie.
À chaque fois que nous nous asseyons pour méditer, nous pouvons sentir la force de la vie, nous pouvons sentir que nous sommes entièrement vivant du sommet du crâne jusqu’au bout de nos orteils. Nous pouvons réaliser que toute notre vie est là, entièrement là, offerte à nous. Et cette force de vie est source de joie, d’une grande joie qui est au-delà des peines ou des satisfactions. 

Se réjouir d’être vivant, d’avoir un corps, de respirer, d’être au monde.
Se réjouir du présent, de la présence, d’être présent.

Récemment Fabrice Midal a enseigné sur ce thème : pourquoi devrions-nous absolument être malheureux quand les choses ne vont pas bien, et absolument heureux quand tout semble aller pour le mieux ? Est-ce vraiment si réel ? Ne sommes-nous pas plus libres et plus singuliers que cela ?

Je me souviens de quelqu’un de très proche qui, au décès de sa mère, pensait qu’il devait être malheureux. Alors il faisait un peu semblant mais au fond il n’était pas malheureux du tout ! Et pourtant il aimait sa mère !
Accueillir son expérience est bien différent qu’essayer d’être comme on pense qu’on devrait être, ou agir comme on pense qu’on devrait agir !

Cette grande joie que nous pouvons sentir dans la méditation – quand enfin on ne fait plus rien que d’être là, pleinement là – est l’espace d’un profond émerveillement et d’une profonde tendresse. Elle est aussi l'espace d'éclosion de notre expérience, qui est toujours propre et singulière à chacune, chacun.

Marie-Laurence Cattoire
Paris

jeudi 8 juin 2017

Rencontre

Dans le métro à Paris, mais ça pourrait être n’importe où, une jeune femme ivre morte se tient difficilement debout, accrochée à la barre. Elle tangue et menace à tout moment de s’effondrer.  

Le spectacle est difficilement soutenable, et soulève toutes sortes de sentiments pénibles. On aimerait faire quelque chose, aider.  On lui propose de s’asseoir, mais bien qu’elle ait l’air de ne plus s’appartenir, elle décline l’invitation, faisant comprendre que si elle s’asseyait, elle allait s’endormir et manquer son arrêt. 

Sortie du métro. Elle part devant moi, cherchant péniblement à enfiler la bretelle de son sac à dos. Je m’approche pour l’aider à ajuster cette bretelle, elle a un mouvement de recul, puis voyant que je n’avais pas l’intention de lui piquer son sac, elle se détend. Échange de regard, sourire, merci. Et elle repart. Je suis détendue, il n’y a plus de lourdeur. 

Quelque chose s’est passé. Nous nous sommes rencontrées au-delà de la situation, tout simplement, comme deux êtres humains. Ce qu’elle traverse lui appartient, ce que je vis m’appartient. Les aléas de nos existences n’ont aucune incidence sur le fait que nous sommes deux êtres humains et que nous pouvons nous rencontrer. 

Quand nous pratiquons, nous touchons au cœur de la présence et nous rencontrons cette partie de nous-mêmes qui demeure sauve quelles que soient les circonstances que nous vivons. Apprendre à la reconnaître, c’est se donner la possibilité de la reconnaître chez les autres et de se relier au-delà des apparences qui souvent nous égarent et nous maintiennent dans un douloureux sentiment d’impuissance.

Dominique Sauthier
Genève

mercredi 7 juin 2017

Les experts...

Les experts sont des personnes qui sont censées avoir acquis une longue expérience dans une profession ou un domaine particulier et qui ont de ce fait des connaissances approfondies pratiques ou théoriques.

Aujourd’hui il y a des experts sur tout. Dès que se produit une catastrophe on fait appel à eux pour expliquer le pourquoi et le comment de l’événement. On les entend tous les jours à la radio se prononcer sur tel ou tel problème. Ils nous rassurent en nous donnant l’impression qu’ils savent de quoi ils parlent, qu’ils ont compris la situation et qu’ils connaissent la solution. Ils nous laissent à penser que l’avenir peut être plus prévisible, plus assuré. 

Que ferions-nous sans eux ?

De fait lorsqu’on pratique la méditation on est l’antipode de l’expert. On ne sait rien d’avance, on ne cherche pas à comprendre un problème. On ne cherche pas à trouver une solution; on reste plutôt dans la question ouverte.

C’est là précisément la véritable expérience qui nous permet d’entrer pleinement au cœur d’une situation; une expérience chaque fois nouvelle, une expérience nue, déstabilisante parfois, qui n’a pas besoin pour être de bibliothèques de références passées ; une expérience qui ne comptabilise pas, ne capitalise pas, qui ne fait pas de nous des experts mais qui nous laisse la fraîcheur de ce que le maître zen Shunryu Susuki appelait « l’esprit du débutant ».

Xavier Ripoche
Paris

lundi 5 juin 2017

L'art de "se foutre la paix" d'Auguste Rodin

S’il est un artiste qui ne semble pas incarner l’invitation de Fabrice Midal à « se foutre la paix », c’est Auguste Rodin. Comment cet homme, qui ramenait tout à la question du travail, ne serait-il pas considéré comme l’antithèse de ce que propose Fabrice Midal dans son dernier livre et ses derniers séminaires ? Lorsqu’il guide des séances de méditation dans l’éclairage de son étonnante proposition, il commence en effet par cette phrase inactuelle : « Ne faites rien ! Absolument rien ! » 

Or, Rainer Maria Rilke, qui fut son secrétaire, témoigne du fait que Rodin saluait systématiquement tous ses visiteurs par la question suivante : « Avez-vous bien travaillé ? » « Car si l’on peut répondre oui à cette question, il n’y en a point d’autre à poser et l’on peut être rassuré : quiconque travaille est heureux » (R.-M. Rilke, « Auguste Rodin », Œuvres, I, Paris, Seuil). Par conséquent, rien de moins étranger, semble-t-il, à Rodin, que le désir de « se foutre la paix » ! D’un côté l’univers méditatif de Fabrice Midal, de l’autre, le monde tout de volonté arc-boutée, de Rodin. C’est du moins ce qu’une entente et une observation superficielles des indications du philosophe et de la création de l’artiste peuvent, à la faveur d’une profonde mécompréhension de l’un et de l’autre, laisser croire !

Aussi surprenant que cela puisse paraître, Auguste Rodin illustre en réalité de façon parfaite et spectaculaire ce dont parle Fabrice Midal. Le phénomène est d’autant plus intéressant qu’il est propre à lever bon nombre de malentendus concernant le sens de sa proposition.
« Se foutre la paix n’est pas démissionner », précise Fabrice, pour commencer l’annexe qu’il a jugé bon d’ajouter à la nouvelle édition du livre d’abord paru en janvier 2017. « Ce n’est pas cesser de s’engager, de créer, de fournir des efforts. La confusion existe, je le sais. Elle est le fruit d’un aveuglement chevillé à la pensée occidentale : nous nous persuadons que nous ne devons surtout pas nous foutre la paix, sous peine de sombrer dans la passivité ou l’attentisme. Grave erreur ! » (F. Midal, Foutez-vous la paix ! Flammarion).

En effet, je soutiens ici que c’est parce que Rodin possédait une disposition réelle à se foutre la paix, qu’il pouvait manifester pareille ardeur au travail !

Il est vrai qu’une telle affirmation est d’autant moins évidente que Rilke notait encore que le sculpteur disposait « de réserves de forces incroyables », et que c’est à partir de cette ressource qu’il pouvait penser : « Quiconque travaille est heureux ». De là à en déduire que cette puissance excluait toute passivité, il n’y qu’un pas, et il suffit d’en faire un tout petit supplémentaire, pour juger que Rodin vivait dans un univers éloigné de la méditation, comme de l’intention de se « foutre la paix » ! D’autant que la suite du témoignage de Rilke peut encore renforcer cette impression : « Pour la nature simple et régulière de Rodin », écrit le poète, ramener toutes les dimensions de l’existence au travail était non seulement possible, mais nécessaire à son génie. Lequel lui permit ainsi de « se rendre maître du monde » ! Le contraste entre un philosophe qui revendique une forme de « droit à la paresse », comme le fit par provocation Paul Lafargue à la fin du XIXème siècle, et ce forçat de travail, qui produisit une œuvre monumentale, semble donc à son comble ! D’un côté le monde de ceux qui se la coulent douce, comme on dit familièrement, et de l’autre celui des travailleurs infatigables !
           
Pourtant, « se foutre la paix » n’est pas « se la couler douce ». La confusion nous empêche de comprendre la proposition de Fabrice Midal et le génie de Rodin.
           
Heureusement, Rilke nous donne une indication précieuse : « travailler pour Rodin, c’est travailler comme la nature travaille et non comme l’homme ». En d’autres termes, Rodin travaillait comme le fait inévitablement le bois,  ou comme mûrit le fruit, sans qu’ils aient aucunement « choisi » de le « faire ». De même, Rodin ne pouvait pas, ne pas travailler. Rilke écrit que « telle était sa destinée ». Il ne se rendit donc « maître du monde » qu’en se mettant, sans résistance, à l’écoute de la poussée irrépressible qui fit jaillir de ses mains d’innombrables sculptures ou dessins. C’est en cela seulement que le travail pouvait être une joie sans partage, un pur mouvement d’abandonnement à l’inspiration qui l’habitait. Il ne se rendit pas maître du monde par une volonté impériale, mais par l’aptitude à répondre à la vision qui s’imposait et lui permettait de passer, suivant ses propres termes, de la surface des choses à leur profondeur.
           
Sans doute penserez-vous, à la lecture des mots qui précèdent, que j’exagère ! Et que pareille puissance créatrice ne peut en réalité qu’être soutenue par une volonté de fer. Je réponds que la volonté n’a d’efficience qu’à la condition de s’ouvrir à plus haut que soi, et que, dans ce cas, on ne peut plus tout à fait parler de « volonté », du moins si l’on désigne par là, la décision d’une subjectivité omni-règnante.

En allant voir les diverses expositions qui sont consacrées en ce moment à Rodin à l’occasion du centenaire de sa mort, j’ai eu la confirmation de cette intuition : au Grand Palais, on est évidemment saisi par la puissance des statues ou des dessins de l’artiste et l’on se demande d’où elle tire son origine, jusqu’au moment où l’on reste interloqué par une de ses paroles, que les commissaires de l’exposition ont opportunément reproduites en lettres capitales, sur un des murs d’une des dernières salles. Voici ce que dit Rodin :

«  La force de mes dessins vient de ce que je n’y ai décidé de rien. Entre la nature et le papier, j’ai supprimé le talent. Je ne raisonne pas, je me laisse faire. »

           
« Je me laisse faire », c’est-à-dire, « je me fous la paix », et mon activité est d’autant efficace qu’elle est moins volontaire. C’est alors que le travail peut devenir jubilation permanente,  aptitude à se mettre au service de ce qui se donne et dont on n’est plus que l’humble instrument, ou mieux : la voie d’accomplissement !

La main de Dieu
qu’on peut voir également, comme à l’accoutumée, dans la maison de Rodin, dit bien quelque chose de ce sens là de la création : C’est au fond une méditation sur la création, qu’elle soit divine ou artistique. On y voit un couple, probablement Adam et Eve, dans la puissante main de leur « créateur ». Mais cette main n’est pas entièrement dégagée de la matière de laquelle elle émerge : le « fiat » divin surgit de cette matière qui le précède. Comme nous savons que Rodin présentait sciemment des statues, apparemment inachevées, comme des œuvres accomplies, nous pouvons en inférer que La main de Dieu, impressionnante en l’état, est finie. La main de Dieu se laisse donc porter par le mouvement d’une apparition qui, au fond, lui échappe. La création divine est simplement l’ouverture d’une main, elle même surgie de la matière. Quelque chose la soutient qui la rend possible. Elle n’est pas « ex-nihilo », comme dirait la théologie. Dieu n’est pas tout puissant. « Dieu » lui-même peut-être « se laisse-t-il faire » ! Peut-être que ce nous appelons si maladroitement « Dieu » n’est autre que le nom de l’impulsion de ce mouvement irrépressible d’éclosion, par lequel les choses viennent à être
             
En créant, Rodin ne « fait » rien d’autre que se relier à cette impulsion. J’ignore si l’on peut lui supposer des pratiques méditatives. Probablement n’est-ce pas le cas. Mais si cet homme pouvait « faire » autant, c’est parce qu’il avait l’aptitude à « se laisser faire », c’est-à-dire à renoncer à ce que tout vienne de lui, à se laisser porter, à se relier à cette source jaillissante qui nous rend d’autant plus actifs que nous n’en sommes pas les auteurs. Quelque chose à travers lui se faisait qui n’aurait pu apparaître et le guider s’il avait voulu le maîtriser.

Aussi, quand Rilke dit de lui qu’il se rendit « maître du monde », encore faut-il bien comprendre que ce dont il parle n’a rien à voir avec la « maîtrise » que met par exemple en scène Charlie Chaplin, lorsqu’il nous montre son « dictateur » jouant avec le globeterrestre, dont il veut faire son jouet. Non, en fait de maîtrise, cette volonté de contrôle détruit tout. La maîtrise, réelle mais limitée, dont fait preuve Rodin est pur accueil de ce qui se donne. C’est, effectivement, d’autant plus une maîtrise, qu’elle se laisse faire, et qu’elle peut donc participer à la monstration de la vérité des choses. Le beau pour Rodin, c’est en effet, la vérité du phénomène ou de la personne peinte ou sculptée. Il le dit, le proclame, laisse la force de cette association entre vérité et beauté, en testament à ses successeurs (A. Rodin, L’art, Grasset).

Or, on ne décide pas de la vérité d’une chose, on la dévoile. Pour cela, il faut se laisser faire, savoir se poser à l’endroit même où l’on « se fout la paix » ! Se foutre la paix, ce n’est pas être condamné à ne rien faire, c’est retrouver, Rodin en est la preuve, le sens de l’action juste, et même, de la puissance de l‘action. « Foutez-vous la paix » comme Rodin en fut capable, pour retrouver ce que vous avez à faire ! Pour faire, commencez par ne rien faire, par ne faire, « absolument » rien !

Danielle Moyse
Chennevières

dimanche 4 juin 2017

L’Orage

William Turner – Tempête de neige (1842)
J’aime quand l’orage gronde dehors et que je suis bien installé chez moi. 

Je peux contempler les tourments de la nature tout en me sentant parfaitement en sécurité. J’aime aussi les pluies torrentielles qui accompagnent parfois l’orage et qui balaient tout sur leur passage. Elles font place nette. Elles emportent avec elle les lourdeurs de l’été et permettent à l’atmosphère de retrouver un peu de légèreté.
 
Quand je pratique c’est souvent l’orage. Le tonnerre gronde, les éclairs passent. Un souci, une pensée obsédante, une peur irrationnelle et des angoisses, parfois de grosses angoisses. Et moi je suis assis, bien installé, et je contemple tout ça. 

Grâce au cadre que je me suis donné, je me sens en sécurité. Je tiens la posture. Je reste là, entre deux coups de gong.

Parfois – pas toujours – la pluie vient et tout s’en va avec elle. Elle emporte mes lourdeurs, quelles qu’elles soient, et me réaccorde avec la légèreté du mouvement simple de la vie en moi. Les angoisses passent, et l’atmosphère redevient un peu plus respirable.

Benjamin Couchot
Bois Colombes

mercredi 31 mai 2017

Le sens de l’école

Lorsque j’ai découvert l’École occidentale de méditation, je me souviens de l’enthousiasme qui était le mien en voyant la richesse des enseignements proposés lors des séminaires, en sentant le feu qui s’allumait en moi à leur écoute et en réalisant l’impact que ceux-ci pouvaient avoir sur ma vie.

Jusqu’alors, je n’avais jamais connu une « école » de ce type. 

Dans mon souvenir, l’école c’était avant tout ce moment « chiant » où je devais me forcer à apprendre tout un tas de chose en vue de mon futur métier. J’avais le sentiment que cette école ne me concernait pas vraiment. J’y allais chaque jour pour avoir une place plus tard dans la société mais c’est tout... 

Ce qui était transmis était sans rapport à la vie. Sans le savoir, beaucoup de mes souffrances venaient de là. Je voulais apprendre, découvrir, grandir mais plus j’avançais sur mon parcours scolaire et plus le monde s’asséchait... 

Découvrir l’École occidentale de méditation, ce fut comme trouver une source de vie à laquelle je pouvais enfin m’abreuver sans modération ! J’avais tellement soif... soif de savoir véritable...
Lors d’un enseignement sur le sens de l’école, Hadrien France-Lanord a lu ce passage du poète Rainer Maria Rilke qui reste pour moi comme un talisman et qui éclaire profondément le sens de l’école :
« Aussi étrange que cela paraisse dans les circonstances présentes c’est à l’école que la vie doit se transformer. Si il est un endroit où elle doit devenir plus vaste, plus profonde, plus humaine, il faut que ce soit l’école. Plus tard, la vie se durcit rapidement dans les métiers et les destins. Elle n’a plus le temps de changer, il lui faut agir telle qu’elle est. Mais à l’école, on a le temps, le silence et l’espace ; du temps pour chaque évolution, du silence pour chaque voix, de l’espace pour la vie entière, pour toutes ses valeurs et tous ses objets.
Une série d’erreurs indescriptibles à fait que l’école est devenue le contraire. De plus en plus, la vie et le réel en ont été chassés. L’école ne devait plus être qu’école et la vie était tout autre chose, elle était pour plus tard, après l’école et destinée aux adultes. Comme si les enfants ne vivaient pas, n’étaient pas au cœur de la vie. L’école est morte de ce garrot incompréhensible. »  

Rainer Maria Rilke, Enseignement religieux, traduction inédite par Hadrien France-Lanord lors du séminaire « Les 7 voies dans l’École occidentale de méditation »

Pour moi, l’École occidentale de méditation a ceci de particulier qu’elle ne propose pas un savoir abstrait et désincarné, au contraire, elle m’apprend comment prendre chaque jour un peu plus soin de mon humanité, comment advenir à ce que je suis en propre et comment écouter toujours mieux ce qui m’appelle au plus profond. Aussi incroyable que cela puisse paraître, elle est l’école véritable dont Rilke parle ici...

Dans cette perspective, la méditation – comme cette manière d’apprendre à se tenir au plus juste dans sa vie – joue un rôle central dans l’École. La pratique n’est jamais acquise une fois pour toute et je ne cesse de découvrir comment je peux laisser rayonner dans ma vie les trois visages de la méditation que sont la pleine présence, la confiance et la bienveillance et voir comment cela m’aide sur mon chemin de vie... 

Avec Clarisse Gardet, j’aurai la chance d’explorer ces trois visages de la méditation et de parler du chemin qu’ils ouvrent lors d’une journée d’enseignements et de pratique à Genève, le dimanche 2 juillet. J’espère vous y retrouver nombreux !

Guillaume Vianin
Neuchâtel
 

lundi 29 mai 2017

Variations

Lundi

Je me réveille de très mauvaise humeur.  Mélange de mécontentement envers moi-même, de peur de l’avenir et de contrariété à l’idée de la journée qui m’attend. Je dégage Rosalie le chat de mon coussin.  Je m’assois.  Il fait beau.  L’écheveau de contrariétés pèse sur mon plexus. Il s’élargit pour former un losange entre la gorge, le nombril et la pointe des seins. Un merle chante. Le cerf-volant de contrariétés reste coincé et ne s’envole pas.
Je descends les escaliers.  La lumière vive du soleil m’accueille à travers la fenêtre de la porte d’entrée.

Mardi

Sur le coussin. La petite fille des voisins crie « Maman ! Maman ! ».  Leur chien aboie.  Qu’est ce qu’il est bête ce chien.  Le vent frappe la fenêtre entrouverte.  Une pie passe.  Je n’aime pas les pies.
Bercée par le flux et le reflux du souffle.  Bercée par le doux ressac des pensées.  Soupir.

Mercredi

Je me suis réveillée très en retard.  Pas de coussin ce matin.
Le chauffeur de bus m’a vue au coin de la rue.  Il m’a attendue.  La journée commence bien.

Jeudi

Jeudi de l’Ascension.  Je suis bien dans le jardin, au soleil, en train de bouquiner.  Je me décide enfin à aller méditer.  Je me pose sur le coussin.  Sensation de lourdeur au niveau du plexus qui remonte jusqu’à la gorge qui se serre.  Un sentiment de tristesse m’envahit.  Je cherche un peu le pourquoi de cette tristesse qui apparaît si brusquement. 
Ma mère est décédée il y a tout juste un an.  J’avais oublié.  Je pleure ma maman sur le coussin. Mon chagrin se mêle aux cris d’alerte des parents oiseaux qui ont repéré Rosalie le chat près de l’arbre où sont perchés leurs petits.

Vendredi

Je fais le pont. Ciel bleu.  Le vent fait danser les feuilles des marronniers. Mon bas ventre est pesant. Pesant du poids de mon âge. Assise sur le coussin, mon corps est un morceau de pierre ponce toute grise.
Est-il possible de retrouver la légèreté et la vivacité de l’enfance ?  Comme les petits enfants de mes voisins.  A fond, à fond,  toujours à fond.  Splendeur de l’enfance.

Anne Vignau
Saint-Gratien

samedi 27 mai 2017

Devenir intime avec son cœur

Dimanche dernier à Bruxelles, nous avons présenté - Guillaume Vianin et moi - les trois pratiques transmises au sein de l’Ecole occidentale de méditation

Pleine présence, Confiance et Amour bienveillant.

« Entrer en amitié avec soi » était le thème de cette dernière pratique, en voici quelques mots.

Entrer en amitié avec soi, c’est entamer une danse lente et emplie de tact pour s’approcher avec égard de ce qui est le plus fragile en nous.

Entrer en amitié avec soi, c’est découvrir les rythmes, les élans, les vibrations, souvent insoupçonnés, de notre être.

Entrer en amitié avec soi, c’est devenir intime avec notre propre coeur.

... et ce détail de l’Embarquement pour Cythère de Watteau, signe de la tendresse.


Marine Manouvrier
Bruxelles

mercredi 24 mai 2017

S’ajuster à ce qui est

Un mercredi matin.  
Je me pose sur le coussin.
De retour d’un séjour au Québec, un peu cassée par le décalage horaire. 

Je reprends le travail aujourd’hui, des urgences m’attendent.

Je suis surprise.  Je pensais voir le stress - à l’idée de ce qui m’attend - affluer à la surface mais en fait le fond de mon esprit est calme.

Voilà quelque chose qui ne cesse de m’étonner.  On est occupé par sa vie, les choses à faire, on a l’impression d’être comme ceci ou comme cela.  D’aller plutôt pas mal, ou très bien, ou très moyen.

Puis, lorsqu’on se pose sur le coussin, c’est quelque chose d’autre qui apparaît.  On avait l’impression d’aller plutôt pas mal, normal quoi, et un sentiment de tristesse remonte à la surface sur le coussin. Ou alors c’est l’inverse, on avait l’impression d’être énervé et la séance sur le coussin fait apparaître un état d’esprit neutre.

J’aime bien dire que la pratique de la méditation est un rendez-vous avec soi-même.  
L’espace de quelques instants, notre être s’ajuste à ce qu’il est à ce moment même. Ajusté comme lorsque l’on met une veste.  On met la veste, puis on tire un peu sur les manches, sur le revers, on hausse les épaules.  Petits gestes de rien du tout qui permettent à la veste de bien tomber, d’être bien portée.

Quelques instants sur le coussin et on s’ajuste à soi-même. Ce n’est rien du tout mais cela change tout. A partir du moment où l’on est d’équerre, peu importe si l’équerre est triste ou joyeuse ce jour là, tout est à sa juste place, comme dans un mandala.

« Le mandala nous montre l’image d’une unité entière qui inclut les différences et les tensions d’une manière harmonieuse. Il répond à un projet visant à éveiller l’être humain à son propre secret (…) L’entièreté (…) est le caractère de ce à quoi rien ne manque pour être. Une plénitude vivante, ouverte et chaleureuse. »  

Anne Vignau
Saint-Gratien

mardi 23 mai 2017

La méditation fait partie de mon quotidien

Georgia O’Keeffe.
Le vent balaie les derniers nuages.
La méditation telle qu’elle est transmise à l’Ecole occidentale fait partie de mon quotidien depuis bientôt sept ans. 

Rares sont les jours où je fais l’impasse, à vrai dire je crois que je n’ai jamais laissé passer plus de trois jours sans m’y mettre. 

Certainement,  j’ai peur que ce lien à la pratique, tel un fil de soie, puisse casser,  se déchirer.
Ne voulant pas prendre ce risque j’ai opté pour la régularité qui entretient la souplesse, l’élasticité et la résistance du fil. 

Ce matin je suis partie de chez moi pour le troisième jour consécutif sans pratique. 

Finalement, qu’est-ce qui est différent ?  

Qu’est-ce qui manque ?  Puisque en apparence, c’est pareil :  Je pars en courant, car il est déjà plus tard que je ne voulais, je n’ai pas réussi  à finir de ranger, à  répondre au téléphone, à prendre le parapluie …. J’emprunte le même chemin,  le métro aux mêmes heures, je révise le mouvement. Le vent balaie les derniers nuages pendant le trajet,  j’arrive à destination avec un léger retard et ça m’énerve.

Ce matin, cet état de fait pas rare était plus pesant, plus dense, plus collant.
Je perçois la différence  par contraste. 

La pratique, c’est comme si elle ouvrait un pan de moi à un espace inconnu de moi mais bien réel. C’est comme si ‘moi’ était assis sur quelque chose d’ouvert. 

Un pan de moi, à mon insu, en lien direct avec le monde. Mon voyage est beaucoup plus intéressant. 

Moins préoccupée par mon retard, je regarde, j’imagine, j’observe, je suis beaucoup plus tranquille et confiante - la journée prendra l’allure qui sera la sienne. Quoiqu'il advienne, quelque chose se tient ouvert..

Le poème de Nelly Sachs me vient à l’esprit, S’en aller sans un regard en arrière, c’est le trente troisième des poèmes rassemblés par Fabrice Midal dans Etre au monde

S’en aller  sans un regard en arrière
Des yeux éloigner même l’occasion des larmes
Lorsque Tsong Khapa quitta son maître
Il ne se retourna pas vers lui
L’adieu habitait son pas
Le temps jaillissait en flammes de ses épaules -
L’Abandonné cria :
“Jetez son abri à l’abîme”
Et sur l’abîme flotta l’abri
Transpercé par l’éclat de cinq couleurs
Et lui marchait sans adieu
Au lieu livide du seul esprit
Sa demeure n’était plus une maison
Mais lumière

Elisabeth Larivière
Paris