Affichage des articles dont le libellé est poésie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est poésie. Afficher tous les articles

lundi 24 juillet 2017

Nos pensées ne sont-elles que des trains qui passent ?

J’avais envie de trouver une citation qui dirait quelque chose de l’expérience du temps dans la pratique de la méditation et, par un heureux hasard, cette citation de Patti Smith dans M Train s’est offerte à moi.

«  J'ai refermé mon carnet et suis restée assise dans le café en réfléchissant au temps réel. S'agit-il d'un temps ininterrompu ? Juste le présent ? Nos pensées ne sont-elles rien d'autre que des trains qui passent, sans arrêts, sans épaisseur, fonçant à grande vitesse devant des affiches dont les images se répètent ? On saisit un fragment depuis son siège près de la vitre, puis un autre fragment du cadre suivant strictement identique. Si j'écris au présent, mais que je digresse, est-ce encore du temps réel ? Le temps réel, me disais-je, ne peut être divisé en sections, comme les chiffres sur une horloge. Si j'écris à propos du passé tout en demeurant simultanément dans le présent, suis-je encore dans le temps réel ? Peut-être n'y a-t-il ni passé ni futur, mais seulement un perpétuel présent qui contient cette trinité du souvenir. J'ai regardé dans la rue et remarqué le changement de lumière. Le soleil était peut-être passé derrière un nuage. Peut-être le temps s'était-il enfui ? »

Ce que j’aime dans cette écriture si reconnaissable de Patti Smith, c’est que la forme rejoint le contenu. Elle nous fait faire l’exacte expérience de ce qu’elle décrit. En quelques lignes, nous voilà pris dans le rythme incessant des pensées, dans cette sensation du sans-repère temporel, avec pourtant ce retour à l’ancrage du présent, insaisissable et néanmoins toujours là.

J’aime qu’elle dise que le temps réel ne peut être divisé en sections. N’est-ce pas ce que nous découvrons dans la pratique de la méditation? L’expérience est entière, à la fois une, multiple, indivisible, dépassant toute catégorie. 

L’été, la pratique de la méditation égrène les journées des stages et séminaires de l’École occidentale de méditation, c’est l’occasion de s’y abandonner plus entièrement et qui plus est dans un espace qui lui est tout dédié.

Marine Manouvrier
Bruxelles

samedi 22 juillet 2017

L’homme qui ne voulait pas changer le monde mais affirmer ce qui est !

Lors d’une de ses dernières causeries consacrées, les mercredis soir de la saison 2016/17, au rapport que nous entretenons (ou non) avec notre corps, Fabrice Midal, parlant ce soir-là du sens que nous pouvons donner à ce que signifie « être touché », évoqua l’exposition consacrée du 26 avril au 14 août 2017, au photographe américain Walker Evans, au Centre Pompidou. 

Je ne connaissais pas du tout ce photographe, mais l’enthousiasme avec lequel Fabrice évoqua ce soir-là son travail me donna envie d’aller voir l’exposition, bien que j’en aie appris l’existence quelques jours avant de quitter Paris pour les vacances d’été, puisque j’avais écouté la causerie en différé, plusieurs semaines après sa première diffusion en direct. Je me rendis donc à Beaubourg un samedi soir, deux heures avant la fermeture. Les salles étaient presque vides.

Fabrice avait conseillé de ne pas lire les légendes des photos. Mais je compris vite que l’artiste était notamment connu comme le photographe des années 30, témoin de la grande crise qui toucha alors les États-Unis. Au cours de l’exposition, on peut effectivement voir des portraits de paysans, de mineurs, d’enfants des rues, et l’on sent la précarité de leur condition... De là à faire de Walker Evans une sorte de super photographe journalistique, soucieux de dénoncer les malheurs et les injustices de son pays, il n’y a qu’un pas… Pourtant, à la fin de l’exposition, est proposé un film documentaire où l’on entend le photographe démentir formellement la volonté de se mettre au service de quelque cause que ce soit, et même refuser d’être embrigadé à des fins de « propagande ». « Je ne voulais pas changer le monde », précise Evans, mais « affirmer ce qui est »

Mais ce qui apparaît alors rétrospectivement ( puisqu’on voit le documentaire à la fin de l’exposition et donc, après avoir contemplé les photographies ), c’est qu’en « affirmant ce qui est », précisément tout change ! Affirmer ce qui est, c’est déjà changer les choses. C’est changer les choses ! En l’occurrence, de quelle noble manière. Pas le moindre pathos dans ces photographies, mais une délicatesse, un tact infinis pour nous montrer les visages noircis, sans doute par le charbon, de ces mineurs condamnés à mourir trop tôt à la tâche, la tombe d’un enfant, réduite à un petit monticule de terre à peine visible et, devine-t-on, bientôt définitivement aplani : l’enfant a-t-il même existé ? Justesse du regard pour dire parfois la violence à l’état pur, sans la moindre emphase. Rien à ajouter pour montrer cette violence que d’affirmer, en l’occurrence en image, ce qui est.
Les visages de ces cultivateurs, de ces mineurs, de ces propriétaires terriens, de ces enfants, montrés comme ils sont, frappent, toutes classes sociales confondues, par leur magnifique dignité. En photographiant ces travailleurs, ces hommes et ces femmes généralement modestes et de provenances diverses, Evans les porte à existence, non pas en les présentant dans des circonstances exceptionnelles, mais en affirmant leur présence ordinaire et en faisant ainsi apparaître leur humanité profonde.

J’ai été frappée, dans une série de portraits sans doute pris dans le métro, par celui d’une jeune fille, dont, après de longues minutes de contemplation, j’ai fini par me dire qu’elle devait être porteuse de ce qu’on appelle aujourd’hui une « trisomie 21 ». Mais le portrait est d’autant plus remarquable qu’il faut en effet un certain temps, pour apercevoir ce « handicap ». L’on voit d’abord un regard qui vous regarde. Une innocence qui vous voit. Bref, un être humain et pas du tout une « personne handicapée ». Non parce que le photographe aurait choisi le « meilleur angle » pour que la particularité de cette jeune fille soit aussi peu apparent que possible. Quand j’ai brusquement compris que cette jeune fille était très probablement porteuse d’un « handicap mental », j’ai justement été frappée par le fait que, ne dissimulant rien de cette caractéristique, Evans avait réussi à faire en sorte que l’humanité de la jeune fille supplante ce qu’on nommerait, avec tant d’indélicatesse, sa « déficience ». 

La chose est d’autant plus impressionnante que la photographie date du début du XXème siècle, où sévissaient les théories raciales les plus délétères. On parle encore aujourd’hui dans les pays anglo-saxons du syndrome de Down, qui avait identifié cette singularité, mais on oublie que ce médecin était un théoricien du racisme, qui avait imaginé que, ce que l’on sait être à présent un désordre chromosomique correspondait à la reviviscence, au sein de la race blanche, de formes archaïques de l’humanité. En France, on parlait, pour les mêmes raisons, de « mongoliens » et l’expression est loin d’avoir complètement disparu. Elle n’était évidemment élogieuse ni pour les Mongols auxquels elle faisait allusion ni pour les « mongoliens », pris dans le même mouvement de radicale déconsidération où la personne est réduite à un manque.

Si j’ai été particulièrement saisie par ce portrait, c’est sans doute que, comme certains le savent peut-être, j’ai écrit, voici quelques années : Handicap, pour une révolution du regard. Et bien ici, cette révolution est accomplie : on ne voit plus le handicap, mais seulement la personne qui a, entre autres caractéristiques, celle de vivre avec une trisomie 21. Il faudrait, pour accomplir la révolution dont je rêvais, être capable de dire en mots, de faire en comportement, ce que Evans fait en image… Et ce qui vaut pour le portrait de cette jeune fille, vaut pour celui de toutes les autres personnes photographiées, « affirmées », aurais-je envie de dire, pour employer ses propres mots, par Evans. Montrées comme ils sont, sans effets de camouflage ou de transformation, les êtres humains apparaissent… comme tels. Affirmés, les femmes et les hommes photographiés par Evans le sont éminemment, tant leur présence nous saute aux yeux ! 

Appliqué aux êtres humains affirmer ce qui est, c’est-à-dire affirmer ceux qui sont, c’est leur rendre leur dignité, leur magnifique présence. Autrement dit, plus radical que le projet de changer les choses, il y aurait la possibilité d’y « parvenir » en les affirmant. Walker Evans ne voulait pas changer le monde mais il révolutionne notre regard. 

L’on comprend évidemment pourquoi Fabrice Midal évoqua le travail de ce photographe pour essayer de « définir » ce que signifie être touché, qu’il tint à distinguer de ce que l’on appelle « l’émotion ». Ici, pas de séisme émotionnel en effet, même si plusieurs photographies font venir les larmes aux yeux, mais le sentiment d’être en rapport entier avec les femmes et les hommes que nous sommes invités à rencontrer. 

De fait, nous sommes d’autant plus touchés que se produit ce que Roland Barthes, dans La chambre claire, le beau livre qu’il a consacré à la photographie, dit des photos lorsqu’elles sont des chefs d’œuvre : la présence de ceux qui nous regardent est à la mesure de leur absence, souvent définitive. Ils sont devant nos yeux, mais ils ne sont plus là. Nous les savons disparus. Même lorsque les modèles sont encore vivants, ils ne sont plus comme ils « sont » sur la photographie. À plus forte raison est-ce le cas, quand nous voyons quelqu’un qui n’est plus. De même, dans les photos d’Evans, les portraits sont saisissants de présence par le fait même que les personnes qui nous regardent s’en sont allées. Qu’ils aient été pourtant une fois, ce jour-là, face au regard du photographe, nous apparaît comme irrévocable.

À tous égards nous sommes donc bien touchés…et comme grandis par l’apparition de l’humanité partagée avec tous ceux qui, à travers ces magnifiques portraits, nous dévisagent, et ce faisant, nous rendent notre propre visage. 
   

Danielle Moyse
Chenevières

dimanche 16 juillet 2017

Qu'est-ce qui fait battre notre cœur aussi puissamment ?

Portrait du poète Hölderlin par Franz Karl Hiemer.
Le poète Hölderlin aperçoit le monde qui l’entoure de manière intense. 

En 1788 il entrevoit pour la première fois le Rhin dans toute sa largeur du côté de Spire.
Il écrit alors dans une lettre aux siens : 

“ J’ai cru renaître à la vue de ce qui se montrait à moi.
Mes sens se dilatèrent, mon cœur battit plus puissamment, mon esprit fuit dans le lointain inaccessible au regard et mes yeux s’étonnèrent .. le Rhin, majestueux, calme … j’ai été ému, rentrai chez moi et remerciai Dieu d’avoir la capacité de ressentir alors que des milliers d’hommes,  indifférents, passent à toute allure.”

La méditation développe cette dilatation des sens, elle aiguise nos perceptions

Aussi elle nous encourage à marquer un temps d’arrêt, "innehalten" dit si bien l’allemand, "tenir dedans", c’est-à-dire suspendre le flux de l’activité.
Mais cette capacité du "innehalten" n’est pas une affaire de volonté, elle naît dans la rencontre avec le monde.
Qu’est-ce qui fait battre notre cœur plus puissamment, nos yeux s’étonner ? 

Pour ma part, il m’arrive parfois de rencontrer quelqu’un que j’aime, de façon inattendue, par surprise, un peu comme si je lui avais donné rendez-vous. Mais comme nous ne nous sommes pas donné rendez-vous la rencontre a une saveur particulière, paraît plus réelle, exempte de mes attentes… Et mon émotion ressemble à la joie enfantine de retrouvailles improbables. 

Je suis alors très reconnaissante à la vie de pouvoir ressentir.

Elisabeth Larivière
Paris

lundi 5 juin 2017

L'art de "se foutre la paix" d'Auguste Rodin

S’il est un artiste qui ne semble pas incarner l’invitation de Fabrice Midal à « se foutre la paix », c’est Auguste Rodin. Comment cet homme, qui ramenait tout à la question du travail, ne serait-il pas considéré comme l’antithèse de ce que propose Fabrice Midal dans son dernier livre et ses derniers séminaires ? Lorsqu’il guide des séances de méditation dans l’éclairage de son étonnante proposition, il commence en effet par cette phrase inactuelle : « Ne faites rien ! Absolument rien ! » 

Or, Rainer Maria Rilke, qui fut son secrétaire, témoigne du fait que Rodin saluait systématiquement tous ses visiteurs par la question suivante : « Avez-vous bien travaillé ? » « Car si l’on peut répondre oui à cette question, il n’y en a point d’autre à poser et l’on peut être rassuré : quiconque travaille est heureux » (R.-M. Rilke, « Auguste Rodin », Œuvres, I, Paris, Seuil). Par conséquent, rien de moins étranger, semble-t-il, à Rodin, que le désir de « se foutre la paix » ! D’un côté l’univers méditatif de Fabrice Midal, de l’autre, le monde tout de volonté arc-boutée, de Rodin. C’est du moins ce qu’une entente et une observation superficielles des indications du philosophe et de la création de l’artiste peuvent, à la faveur d’une profonde mécompréhension de l’un et de l’autre, laisser croire !

Aussi surprenant que cela puisse paraître, Auguste Rodin illustre en réalité de façon parfaite et spectaculaire ce dont parle Fabrice Midal. Le phénomène est d’autant plus intéressant qu’il est propre à lever bon nombre de malentendus concernant le sens de sa proposition.
« Se foutre la paix n’est pas démissionner », précise Fabrice, pour commencer l’annexe qu’il a jugé bon d’ajouter à la nouvelle édition du livre d’abord paru en janvier 2017. « Ce n’est pas cesser de s’engager, de créer, de fournir des efforts. La confusion existe, je le sais. Elle est le fruit d’un aveuglement chevillé à la pensée occidentale : nous nous persuadons que nous ne devons surtout pas nous foutre la paix, sous peine de sombrer dans la passivité ou l’attentisme. Grave erreur ! » (F. Midal, Foutez-vous la paix ! Flammarion).

En effet, je soutiens ici que c’est parce que Rodin possédait une disposition réelle à se foutre la paix, qu’il pouvait manifester pareille ardeur au travail !

Il est vrai qu’une telle affirmation est d’autant moins évidente que Rilke notait encore que le sculpteur disposait « de réserves de forces incroyables », et que c’est à partir de cette ressource qu’il pouvait penser : « Quiconque travaille est heureux ». De là à en déduire que cette puissance excluait toute passivité, il n’y qu’un pas, et il suffit d’en faire un tout petit supplémentaire, pour juger que Rodin vivait dans un univers éloigné de la méditation, comme de l’intention de se « foutre la paix » ! D’autant que la suite du témoignage de Rilke peut encore renforcer cette impression : « Pour la nature simple et régulière de Rodin », écrit le poète, ramener toutes les dimensions de l’existence au travail était non seulement possible, mais nécessaire à son génie. Lequel lui permit ainsi de « se rendre maître du monde » ! Le contraste entre un philosophe qui revendique une forme de « droit à la paresse », comme le fit par provocation Paul Lafargue à la fin du XIXème siècle, et ce forçat de travail, qui produisit une œuvre monumentale, semble donc à son comble ! D’un côté le monde de ceux qui se la coulent douce, comme on dit familièrement, et de l’autre celui des travailleurs infatigables !
           
Pourtant, « se foutre la paix » n’est pas « se la couler douce ». La confusion nous empêche de comprendre la proposition de Fabrice Midal et le génie de Rodin.
           
Heureusement, Rilke nous donne une indication précieuse : « travailler pour Rodin, c’est travailler comme la nature travaille et non comme l’homme ». En d’autres termes, Rodin travaillait comme le fait inévitablement le bois,  ou comme mûrit le fruit, sans qu’ils aient aucunement « choisi » de le « faire ». De même, Rodin ne pouvait pas, ne pas travailler. Rilke écrit que « telle était sa destinée ». Il ne se rendit donc « maître du monde » qu’en se mettant, sans résistance, à l’écoute de la poussée irrépressible qui fit jaillir de ses mains d’innombrables sculptures ou dessins. C’est en cela seulement que le travail pouvait être une joie sans partage, un pur mouvement d’abandonnement à l’inspiration qui l’habitait. Il ne se rendit pas maître du monde par une volonté impériale, mais par l’aptitude à répondre à la vision qui s’imposait et lui permettait de passer, suivant ses propres termes, de la surface des choses à leur profondeur.
           
Sans doute penserez-vous, à la lecture des mots qui précèdent, que j’exagère ! Et que pareille puissance créatrice ne peut en réalité qu’être soutenue par une volonté de fer. Je réponds que la volonté n’a d’efficience qu’à la condition de s’ouvrir à plus haut que soi, et que, dans ce cas, on ne peut plus tout à fait parler de « volonté », du moins si l’on désigne par là, la décision d’une subjectivité omni-règnante.

En allant voir les diverses expositions qui sont consacrées en ce moment à Rodin à l’occasion du centenaire de sa mort, j’ai eu la confirmation de cette intuition : au Grand Palais, on est évidemment saisi par la puissance des statues ou des dessins de l’artiste et l’on se demande d’où elle tire son origine, jusqu’au moment où l’on reste interloqué par une de ses paroles, que les commissaires de l’exposition ont opportunément reproduites en lettres capitales, sur un des murs d’une des dernières salles. Voici ce que dit Rodin :

«  La force de mes dessins vient de ce que je n’y ai décidé de rien. Entre la nature et le papier, j’ai supprimé le talent. Je ne raisonne pas, je me laisse faire. »

           
« Je me laisse faire », c’est-à-dire, « je me fous la paix », et mon activité est d’autant efficace qu’elle est moins volontaire. C’est alors que le travail peut devenir jubilation permanente,  aptitude à se mettre au service de ce qui se donne et dont on n’est plus que l’humble instrument, ou mieux : la voie d’accomplissement !

La main de Dieu
qu’on peut voir également, comme à l’accoutumée, dans la maison de Rodin, dit bien quelque chose de ce sens là de la création : C’est au fond une méditation sur la création, qu’elle soit divine ou artistique. On y voit un couple, probablement Adam et Eve, dans la puissante main de leur « créateur ». Mais cette main n’est pas entièrement dégagée de la matière de laquelle elle émerge : le « fiat » divin surgit de cette matière qui le précède. Comme nous savons que Rodin présentait sciemment des statues, apparemment inachevées, comme des œuvres accomplies, nous pouvons en inférer que La main de Dieu, impressionnante en l’état, est finie. La main de Dieu se laisse donc porter par le mouvement d’une apparition qui, au fond, lui échappe. La création divine est simplement l’ouverture d’une main, elle même surgie de la matière. Quelque chose la soutient qui la rend possible. Elle n’est pas « ex-nihilo », comme dirait la théologie. Dieu n’est pas tout puissant. « Dieu » lui-même peut-être « se laisse-t-il faire » ! Peut-être que ce nous appelons si maladroitement « Dieu » n’est autre que le nom de l’impulsion de ce mouvement irrépressible d’éclosion, par lequel les choses viennent à être
             
En créant, Rodin ne « fait » rien d’autre que se relier à cette impulsion. J’ignore si l’on peut lui supposer des pratiques méditatives. Probablement n’est-ce pas le cas. Mais si cet homme pouvait « faire » autant, c’est parce qu’il avait l’aptitude à « se laisser faire », c’est-à-dire à renoncer à ce que tout vienne de lui, à se laisser porter, à se relier à cette source jaillissante qui nous rend d’autant plus actifs que nous n’en sommes pas les auteurs. Quelque chose à travers lui se faisait qui n’aurait pu apparaître et le guider s’il avait voulu le maîtriser.

Aussi, quand Rilke dit de lui qu’il se rendit « maître du monde », encore faut-il bien comprendre que ce dont il parle n’a rien à voir avec la « maîtrise » que met par exemple en scène Charlie Chaplin, lorsqu’il nous montre son « dictateur » jouant avec le globeterrestre, dont il veut faire son jouet. Non, en fait de maîtrise, cette volonté de contrôle détruit tout. La maîtrise, réelle mais limitée, dont fait preuve Rodin est pur accueil de ce qui se donne. C’est, effectivement, d’autant plus une maîtrise, qu’elle se laisse faire, et qu’elle peut donc participer à la monstration de la vérité des choses. Le beau pour Rodin, c’est en effet, la vérité du phénomène ou de la personne peinte ou sculptée. Il le dit, le proclame, laisse la force de cette association entre vérité et beauté, en testament à ses successeurs (A. Rodin, L’art, Grasset).

Or, on ne décide pas de la vérité d’une chose, on la dévoile. Pour cela, il faut se laisser faire, savoir se poser à l’endroit même où l’on « se fout la paix » ! Se foutre la paix, ce n’est pas être condamné à ne rien faire, c’est retrouver, Rodin en est la preuve, le sens de l’action juste, et même, de la puissance de l‘action. « Foutez-vous la paix » comme Rodin en fut capable, pour retrouver ce que vous avez à faire ! Pour faire, commencez par ne rien faire, par ne faire, « absolument » rien !

Danielle Moyse
Chennevières

mardi 23 mai 2017

La méditation fait partie de mon quotidien

Georgia O’Keeffe.
Le vent balaie les derniers nuages.
La méditation telle qu’elle est transmise à l’Ecole occidentale fait partie de mon quotidien depuis bientôt sept ans. 

Rares sont les jours où je fais l’impasse, à vrai dire je crois que je n’ai jamais laissé passer plus de trois jours sans m’y mettre. 

Certainement,  j’ai peur que ce lien à la pratique, tel un fil de soie, puisse casser,  se déchirer.
Ne voulant pas prendre ce risque j’ai opté pour la régularité qui entretient la souplesse, l’élasticité et la résistance du fil. 

Ce matin je suis partie de chez moi pour le troisième jour consécutif sans pratique. 

Finalement, qu’est-ce qui est différent ?  

Qu’est-ce qui manque ?  Puisque en apparence, c’est pareil :  Je pars en courant, car il est déjà plus tard que je ne voulais, je n’ai pas réussi  à finir de ranger, à  répondre au téléphone, à prendre le parapluie …. J’emprunte le même chemin,  le métro aux mêmes heures, je révise le mouvement. Le vent balaie les derniers nuages pendant le trajet,  j’arrive à destination avec un léger retard et ça m’énerve.

Ce matin, cet état de fait pas rare était plus pesant, plus dense, plus collant.
Je perçois la différence  par contraste. 

La pratique, c’est comme si elle ouvrait un pan de moi à un espace inconnu de moi mais bien réel. C’est comme si ‘moi’ était assis sur quelque chose d’ouvert. 

Un pan de moi, à mon insu, en lien direct avec le monde. Mon voyage est beaucoup plus intéressant. 

Moins préoccupée par mon retard, je regarde, j’imagine, j’observe, je suis beaucoup plus tranquille et confiante - la journée prendra l’allure qui sera la sienne. Quoiqu'il advienne, quelque chose se tient ouvert..

Le poème de Nelly Sachs me vient à l’esprit, S’en aller sans un regard en arrière, c’est le trente troisième des poèmes rassemblés par Fabrice Midal dans Etre au monde

S’en aller  sans un regard en arrière
Des yeux éloigner même l’occasion des larmes
Lorsque Tsong Khapa quitta son maître
Il ne se retourna pas vers lui
L’adieu habitait son pas
Le temps jaillissait en flammes de ses épaules -
L’Abandonné cria :
“Jetez son abri à l’abîme”
Et sur l’abîme flotta l’abri
Transpercé par l’éclat de cinq couleurs
Et lui marchait sans adieu
Au lieu livide du seul esprit
Sa demeure n’était plus une maison
Mais lumière

Elisabeth Larivière
Paris

jeudi 11 mai 2017

Entrer en amitié avec soi

Reading a letter - Thomas Benjamin Kennington
Dans le très beau livre de Maurice Zermatten, « Les années Valaisannes de Rilke », j’ai découvert un magnifique passage sur l’amitié. Proche de la petite tour où s’est établi Rainer Maria Rilke à la fin de sa vie, vivait Mme de Sépibus...

« Ce que Mme de Sépibus fut pour le poète, il est difficile de le dire avec ces gros mots de tous les jours qui risquent sans cesse de signifier trop ou trop peu. Le langage du poète, si riche en demi-teintes, si constamment appliqué à signifier le réel par d’insaisissables formes, nous serait nécessaire. Elle sut être silencieuse, simplement présente quand la solitude pesait de trop de poids sur le cœur de l’ermite. Que l’on songe qu’après les Elégies et les Sonnets, nulle grande œuvre ne l’accapare. De longues journées, de longues heures nocturnes s’offrent à la méditation et à l’étude mais il est un terme à tout renoncement. Alors l’amie ouvrait sa porte, ne demandait rien, s’enquérait avec respect de l’état de santé jamais brillante du poète. Elle lisait les livres dont il parlait avec chaleur, découvrait par lui la beauté multiple du monde, apprenait à aimer les animaux, les arbres, le soleil, la terre d’un cœur fraternel. Une âme s’épanouissait, œuvre vivante dans laquelle le poète pouvait retrouver sa propre image. »

Je trouve que ce passage éclaire magnifiquement le geste que l’on fait dans la pratique de la méditation.
Dans la méditation, on entre en amitié avec soi par la simple présence et le silence... 
Quand on s’assoit sur son coussin, on ouvre la porte à ce qui est là.
On ne demande rien. On est juste présent. Au lieu de se crisper, de claquer la porte et de s’en vouloir parce qu’on a trop de pensées ou qu’on a mal quelque part, on ne fait rien. On se prend comme on est.
Par notre attention chaleureuse et ouverte, on s’enquière avec respect de notre état de santé. Simplement en ne faisant rien, en n’essayant pas de réussir quelque chose, en étant juste là, on remarque la tonalité qui est la nôtre. On voit comment est notre esprit. On remarque peut-être la présence d’une émotion particulière. On ne fait rien. Tout a le droit d’être.
On suit juste délicatement son souffle, avec la même délicatesse que lorsqu’on lit un livre de poésie. On s’accorde au léger mouvement d’abandon qu’est l’expiration et par là, on s’ouvre peu à peu à la beauté multiple du monde. Tout est là, les arbres, le soleil et la terre.
Ainsi, la pratique de la méditation, tout comme l’amitié véritable, nous aide à aimer ce qui est d’un cœur fraternel et à retrouver sa propre image.

Guillaume Vianin
Neuchâtel

mercredi 10 mai 2017

Juste une sorte de politesse

J’ai la chance en ce moment d’aller régulièrement à Orléans pour parler d’architecture à des étudiants. La salle dans laquelle j’interviens se situe au sous-sol du musée des Beaux-arts de la ville. Quand on en sort, on passe nécessairement à l’entrée de la galerie où sont exposées les œuvres modernes et contemporaines. Au fond de la galerie il y a une grande toile de Simon Hantaï : Étude (D.84.2.1).
On la voit depuis l’entrée. On ne voit qu’elle, elle nous appelle.
Lorsque je sors de la salle de conférences à la fin de la séance, je ne peux m’empêcher d’aller vers elle et de rester quelques instants à ses côtés. Peu à peu nous avons appris à nous connaître. Maintenant, à peine je l’aperçois et mon cœur est apaisé. Elle est devenue comme une amie que j’ai plaisir à visiter. Chaque fois je la retrouve et je la reconnais. L’architecte Louis I. Kahn parle de cela à propos de la musique : 

« Quand nous entendons les accords d’un chef-d’œuvre musical familier, c’est comme si quelqu’un de familier entrait dans la pièce ». 

Quand je vois les accords de l’Étude d’Orléans, j’ai l’impression de rentrer à la maison. Comme un enfant qui ouvre la porte de sa chambre après une longue et pénible journée à l’école et qui retrouve tout son univers.
Cela n’a rien d’une forme de routine, bien au contraire. Chaque fois que je retrouve la toile, je la redécouvre, différente. Un pli, que je n’avais pas remarqué, attire mon attention. Le bleu se révèle plus profond, ou plus lisse. Des lignes se dessinent entre les surfaces blanches et les surfaces colorées, toujours autrement. Le rythme se fait plus calme ou plus soutenu : il évolue déjà dans le temps de notre entrevue.
Je mesure la chance de pouvoir côtoyer ainsi une œuvre régulièrement. Cela n’a rien à voir avec le fait d’aller au musée. Cela me semble un peu plus simple d’entrer en relation avec l’œuvre quand cela s’inscrit ainsi dans le quotidien. On n’attend rien de particulier, on va juste dire bonjour à une amie, comme ça, au passage. Juste une sorte de politesse. Nous pouvons ainsi développer un lien plus réel avec elle et dépasser la sidération, la timidité ou la révérence qui peuvent nous en éloigner.
Il faudrait réussir à aller au musée par politesse, comme s’il s’agissait d’aller rendre visite à un ami que l’on aime bien, et sans s’attendre à vivre quelque chose d’exceptionnel.
    
Benjamin Couchot
Paris

vendredi 5 mai 2017

Un souffle après l’autre

Il y a des moments dans l’existence où les malheurs nous tombent dessus sans répit. Après le décès de mon père, puis celui de mon compagnon, voici que ma chère petite maman a elle aussi choisi de tirer sa révérence et les jours qui lui restent à vivre sont comptés. 

J’ose à peine dire qu’encore une fois je suis confrontée à la perte d’un proche.
« Encore ! ? »
Oui, encore… 

Et la question qui suit, « Mais comment fais-tu pour tenir le coup ? ». Et là, plus que jamais,  je vois comment  la pratique de la méditation m’aide à traverser cette nouvelle épreuve. 

Quand on pratique, on s’entraîne à vivre un moment après l’autre. Quand le moment est difficile, la tendance que nous avons, c’est de ne pas l’accepter; on en fait une histoire, on cherche des coupables, on se révolte contre le sort injuste qui nous tombe dessus,  on cherche des explications, une loi des séries,  des raisons… 

La pratique nous apprend, en étant attentif à notre souffle, à être dans le présent, dans notre corps, dans le corps même du moment, et par cette présence attentive, à coïncider exactement avec ce qu’il y a vivre sur le champ. 

Dans la situation que je traverse, je mesure toute la puissance de cette pratique. Suivre le mouvement du souffle, c’est suivre le mouvement de la vie qui vient, mais  aussi celui de la vie qui s’en va. Elle vient et elle va en dehors de toute volonté de notre part, elle nous dépasse complètement, et cette  nouvelle épreuve me fait entrevoir l’immensité indomptable et splendide de cette vie qui ne se laisse pas ramener à la mesure de notre petite existence, et qui en même temps est là, si fragile, dans une fleur, un iris bleu comme il en fleurit dans le jardin de ma mère.

Dominique Sauthier
Genève
« Merci d’être, sans jamais te casser, iris, ma fleur de gravité. Tu élèves au bord des eaux des affections miraculeuses, tu ne pèses pas sur les mourants que tu veilles, tu éteins les plaies su lesquelles le temps n’a pas d’action, tu ne conduis pas à une maison consternante, tu permets que toutes les fenêtres reflétées ne fassent qu’un seul visage de passion, tu accompagnes le retour du jour sur les vertes avenues libres. »

René Char, Lettera amorosa, illustré par Georges Braque

mardi 18 avril 2017

Ciel

En relisant mes notes du séminaire « Habiter le monde en poète » je vois certains mots écrits à la hâte pendant les enseignements que je n’arrive plus à relire. Il y a des phrases incomplètes, il y a des points de suspension. 

Même si le séminaire est terminé depuis deux jours, le travail continue à se faire. C’est un travail plus intérieur, une sorte de décantation. Certaines choses sont bien présentes, d’autres  un peu effacées. A la présence vivante et fulgurante des enseignants et des participants succède le silence et le retrait.
 
Ce qui est clair c’est que je ne regarderai plus le ciel comme avant. J’ai lu dans mes notes : 

« le ciel est la course arquée du soleil, il rythme l’habitation des hommes. Chaque dimension est en mouvement, fixe une temporalité, détermine une intensité. Le ciel nous plonge dans la profondeur bleuissante ». 

Puis au sujet de Monet : « Monet passe de la peinture des ciels à la peinture qui devient ciel ».
 
Alors ce matin je suis allé voir les Nimphéas au musée de l’Orangerie et j’ai vu la profondeur du bleu, j’ai vu l’eau et le ciel indifférenciés. J’ai vu l’abîme du ciel.

Même si les mots s’effacent, le ciel vaste est bien là et sa « bleuité adorable » colore ma pratique de la méditation.

Xavier Ripoche
Paris

samedi 15 avril 2017

Pour l'amitié, pour la grâce.

Un matin.   

Chacun fait son nid de chaise ou de coussin.  On dépose autour de soi le cahier de notes, la photocopie du texte de Martin Heidegger, le stylo pour les notes, le crayon à papier pour annoter le texte. Son sac sur le côté, près du voisin, à la frontière du nid. La veste de l’autre côté. La bouteille d’eau où l’on peut. Des chaussettes de toutes les couleurs, des châles sur certains genoux.

Ça papote malgré Marine, gardienne du temps hiératique, qui attend, le gong à la main.
Les bruissements de voix se calment.  Les trois coups de gong résonnent.
Nous méditons, tous réunis dans le silence.  Il fait chaud. Un coup de gong.

Tous les jours.  Hadrien et Fabrice s’installent tour à tour à la table posée sur l’estrade couverte d’un tapis rouge.

Ils sont dire et monstration :
Posez-vous devant un tableau, mettez-vous à l’écoute de la parole, à l’écoute de la musique du monde.  Tout être humain peut le faire, il suffit de se mettre au travail.

Lecture d’un poème d’Henri Michaux.

La culture, c’est apprendre à être un être humain.

L’homme vit dans la Dimension, entre le ciel et la terre.  Une mesure nous est octroyée et nous avons à la déployer.  On ne comprend pas tout mais c’est ça la Dichtung, proche parente de la poésie et de la philosophie.

Et Hadrien et Fabrice nous montrent et nous remontrent.   Regardez comment toutes les touches de peinture chez Cézanne sont en rapport.  Regardez ce tableau de Poussin, la courbe de la rivière.  Et Matisse, comment tout bouge et vous inclut. 

Lecture d’un autre poème de Michaux.  Quand on aime on ne compte pas.

Et puis il y a Anna qui danse avec son violon. La musique de Bach nous traverse.  Mon voisin pleure.

Posez-vous devant un tableau, cela prend du temps de voir.  Ecoutez.  Mettez-vous au travail.

Allez voir Pelléas et Mélisande dans la mise en scène de Bob Wilson, Le sacre du printemps de Pina Bausch.  Agone de Balanchine. La sculpture de Caro à La Défense, After Olympia.

Se mettre à l’écoute du monde, prendre la place qui nous est octroyée.  Nous mortels, avec cette mort comme limite qui nous ouvre tous les possibles. Martin appelle ça horizon.

Poème.  De… Henri Michaux. Cela va de soi.   La voix de George Oppen, autre poète.  Américain celui-là.

Il suffit de travailler.  Mettez-vous au travail. On est paresseux parce qu’on ne se fout pas la paix.  Si on se fout la paix on est là. Quand on travaille ça donne.

Se déployer à sa juste mesure.

Hadrien, Fabrice, Fabrice, Hadrien. Regardez, écoutez.  Soyez.

Demain Hadrien va nous parler du Ciel et de l’Inconnu.

Fabrice-Hadrien.  Hadrien-Fabrice. Pourquoi ce séminaire ?

Pour être le « là ».  Pour être un trait d’union.  Pour rien.

Pour l’amitié. Pour la Grâce.

Merci.

Anne Vignau
Dinard



Il restera dans nos cœurs comme un temple grec

Je retrouve aujourd’hui la magie que j’ai connue dès le premier séminaire auquel j’ai assisté dans l’école. 

Il y a magie parce qu’il y a monde, c’est-à-dire un espace où on peut habiter ensemble. 

Notre séminaire déploie ses modulations sous le ciel de Bretagne.  

Une parole y est transmise qui nous élève et nous réjouit; parole philosophique, parole poétique. Nous avons entendu que l’être à la possibilité de se déployer dans l’horizon de la finitude humaine, entre ciel et terre, entre naissance et mort, dans la parole. 

Le violon d’Anna Gockel, exemplaire, lui aussi parle, danse, enseigne et sa voix résonne sublimement dans cet espace.

Bientôt ce sera la fin mais il restera dans nos cœurs comme un temple grec, magnifique sous le soleil.

Xavier Ripoche
Dinard

vendredi 14 avril 2017

On ne peut habiter qu’un poème. Sinon on erre.

Nous écoutons un poème.
Ce sont des mots. Mais d’abord des sons. Des mots qui sont comme des notes.

Avec des S qui sifflent.
Avec des L qui lapent.
Avec des R qui rappent et des K qui claquent.

Des mots qu’on ne comprend pas. Qu’on ne cesse jamais de comprendre. Toujours autrement.
Des mots qu’on entend. Sans jamais finir d’en saisir le sens. Des mots qui sonnent et résonnent. Ouverts.

Des mots énoncés, proclamés. Qu’on ne peut pas lire juste pour soi-même.
L’instrument du poète : sa voix. Celle-ci est grave, sombre, chargée du poids du siècle. Sombre et légère. Lourde et fluette. Fragile. Si fragile. Un souffle trop brusque pourrait la faire fuir. Mais solide. Un sol sur lequel reposer. Solide parce que fragile. Un abri. Le lieu où habiter.

On ne peut habiter qu’un poème. Sinon on erre. Seul le poème nous relie. Aux autres, au monde, au ciel et à la terre. Sans poème, pas de sol. Ça se disperse. Ça s’éparpille. Ça se renverse. Ça n’a plus de mesure. Le poème donne la mesure. Après on est libre. On a sa propre écoute. La même pour tous.

Le poème. Le même pour tous. Ensemble. Et pour chacun. Le même. En propre.

Benjamin Couchot
Dinard

Depuis que je tiens un crayon en main je veux écrire, des poèmes, des livres, des nouvelles, peu importe, écrire.

Lors de son deuxième enseignement, Hadrien France-Lanord a montré, notamment, le déplacement qu’il y a à faire pour entendre ce qu’est une Parole poétique, à partir de la lecture de la conférence « … habiter en poète … » de Martin Heidegger (dans Essais et Conférences). 

Un moment m’a particulièrement frappée, celui où il est question du fait d’écrire. 

Sans doute parce que depuis que je tiens un crayon en main je veux écrire, des poèmes, des livres, des nouvelles, peu importe, écrire.

Par un ajointement heureux, Hadrien France-Lanord a mis des mots ce matin sur un écueil radical à l’écriture qui m’était apparu il y a quelques temps, moi qui voulais écrire. 

L’écueil est qu'il n’est pas question de volonté dans l’écriture (et je vous laisse librement penser le parallèle avec la pratique de la méditation). En effet, il n’est pas tant question de vouloir écrire à propos de quelque chose que de se demander ce que la chose a à nous dire. 

«Écrire c’est trouver la manière de dire ce qui ce dit à nous » 

précise Hadrien France-Lanord. 

Ainsi, les idées viennent à nous plutôt que nous les cherchons et, « s'il y a quelque chose à faire pour les laisser venir, c’est écouter ».

La Parole poétique n’est donc détenue par personne, elle est entièrement libre, elle n’a ni maître ni possesseur. 

L’être humain - en poète - écoute et accueille la Parole qui s’adresse à lui « par effraction », souligne Hadrien France-Lanord. 

Et, ensuite, quand l’être humain - en poète - l’a dit ou l’écrit, il en prend la responsabilité.

Marine Manouvrier 
Dinard.

jeudi 13 avril 2017

Ce goût de l'aventure

Mouvements - Henri Michaux.

« La clé qui ouvre la porte d’une œuvre d’art c’est la présence, jamais la référence. »


Fabrice Midal tentait de montrer hier soir, lors de sa troisième causerie sur la culture, comment faire face à une œuvre d’art. Il était question de ne rien faire de manière à laisser être ce qui est. 
Ne pas chercher à dire, à voir ni à entendre pour pouvoir véritablement entrer en rapport à l’œuvre d’art.  
Que suis-je donc venu faire à ce séminaire 
Moi qui ai souvent des difficultés à voir des œuvres d’art je ne vais apprendre aucune recette, aucun truc  pour sortir de l’aveuglement dans lequel je suis. Les références historiques ou autres ne m’aideront pas non plus. Il s’agit plutôt de désapprendre, de se tenir face à l’œuvre avec gravité et légèreté à la fois. 

La méditation est l’une des clés de cette entrée en présence. 
Les poèmes d’Henri Michaux lus par Fabrice en sont une autre.
Voilà un tout petit aperçu de ce séminaire qui a commencé lundi. J’ai déjà l’impression d’avoir fait un voyage, d’avoir quitté les rives des connaissances convenues pour entrer dans une aventure. C’est sans doute ce que je retrouve à chaque fois que je participe à un séminaire de l’école, ce goût de l’aventure, cette impression d’être au travail, ensemble avec les enseignants et les participants.  
C’est dans les séminaires que je sens battre le cœur de notre École. C’est là que se trace à chaque fois un nouveau chemin, que se dessinent de nouveaux horizons. 
Je sais que même si les conférences filmées donneront sans doute lieu à un cours en ligne que je pourrai voir dans quelques mois, ce ne sera pas la même expérience. 
Ce que nous vivons ensemble lors d’un séminaire de notre École est à chaque fois unique. 

Xavier Ripoche
Dinard

mercredi 12 avril 2017

Mais hier, quelque chose de plus. J’ai entendu.

Anna au violon, Dinard 2017.
Bien sûr, j’avais déjà entendu de la musique.

Les notes qui se succèdent les unes aux autres. Joyeusement, tristement. Tristement joyeuses, le plus souvent.

Elles défilent devant moi. Me caressent à peine. Doucement plaisantes.

Elles sont là. Je suis là. Face à face.

Mais hier, quelque chose de plus. J’ai entendu. Mais pas uniquement.

J’ai vu. J’ai goûté. J’ai senti. J’ai respiré. Pas seulement. J’ai vécu.
La musique a vécu en moi. Elle m’a mis en mouvement. De l’intérieur.
Le violon. Le frottement des cordes. Les notes qui résonnent.
Devant moi. Autour de moi. En moi. Sans distinction. Partout.
Les notes. Plus les unes derrières les autres. Les unes au-dessus des autres. Les unes autour des autres. Les unes contre les autres.

Ça frotte. Ça s’entrechoque. Ça s’entrelace. Ça s’embrasse.
Ça entre en résonance. Et tout entre en résonance. Le violon. Les notes. Les unes contre les autres. Moi avec. Et tous les autres. Anna derrière le violon. Et tous les autres autour. Tous ensembles. Enfin réunis. En résonance.

Merci.

Benjamin Couchot
Dinard

mardi 11 avril 2017

Calculer la moyenne rend tout moyen

Fabrice Midal nous parlait hier des statistiques et des moyennes établies au nom d'une vérité "scientifique" qui donnerait à voir la réalité. 

Mais une moyenne dit-elle quelque chose de vrai ? Par exemple, la moyenne des élèves d'une classe dit-elle le niveau de la classe ? 

Si vous êtes 10 à lire cet article, que 5 d'entre vous le trouvent génial et lui mettraient une note de 19/20 et que les 5 autres le trouvent nul et lui donnent une note de 1/20... Nous arrivons à une moyenne de 10/20 pour le "taux de satisfaction" de ce post, moyenne qui ne représente aucun des avis réels !  Ni ceux qui adorent, ni ceux qui détestent. 

Et c'est souvent comme cela : on nivelle par des moyennes toute aspérité, toute singularité, toute réussite, toute difficulté. La moyenne rend tout moyen.

Voici comment Fabrice Midal le disait hier soir :

"Les statistiques devraient être le reflet du monde et c'est le monde qui est devenu le reflet des statistiques..."


En ces temps de campagne présidentielle, on peut s'interroger sur la vérité des sondages, menés auprès "d'un échantillon représentatif de la population"... Ne sont-ce pas ces mêmes statistiques qui influencent nos pensées, nos avis, nos préférences ou nos votes ? Ne sont-ce pas ces chiffres, ces moyennes qui posent un écran entre nous et le monde ? Qui  donnent à la réalité un tout autre visage ? Qui nous empêchent de voir pour de bon ?

"La poésie révèle ce qui en nous peut résister aux statistiques" 

ajoute Fabrice Midal.

C'est pourquoi en ces temps troublés et incertains, où la politique se mesure à la force de ses "punch lines", où parler est de plus en plus difficile, l'écoute de l'art, qui nous permet d'habiter le monde en poète, est essentielle. Et pour cela la méditation offre une disposition majeure.

Marie-Laurence Cattoire
Dinard

Un sentiment de solitude

Dinard. Fin du premier jour du séminaire "Comment habiter le monde en poète ?"

Je vais me coucher envahie par un sentiment très profond de solitude. Cela m'arrive souvent dans un séminaire.

Les années dans l'École occidentale de méditation m'ont appris à l'apprivoiser et à la chérir car c'est la solitude qui nous permet de recueillir ce qui se donne dans ces séminaires.

Comme l'a dit Fabrice Midal en introduction, nous ne savons pas ce qui va se passer et rentrer en rapport à la poésie implique de partir à l'aventure.
 
Ceci nous concerne chacun en propre. Comment peut-il en être autrement ?

Vous vous en doutez bien, nous n'allons pas, dans ce séminaire, parler de la poésie en tant que genre littéraire mais de cette poésie qui est le lieu où l'homme peut habiter son existence. Cette poésie qui est un dire, une monstration.

Et la culture dont va nous parler Fabrice Midal ne concerne pas l'expo qu'il faut "faire" ou une simple appréciation esthétique mais bien plutôt comment un tableau ou un poème peut nous aider à vivre...

Ceci concerne l'essentiel de notre existence pour qui veut bien le regarder ou l'entendre.

Et c'est dans la solitude de chacune de nos existences que nous pouvons laisser le poème avoir lieu.

Anne Vignau
Dinard

À quoi sert la culture ?

À quoi sert la culture ? Et d'ailleurs qu'est-ce que la culture ? 

Voici deux phrases, deux pistes de réflexion,  glanées au cours du premier enseignement que Fabrice Midal a donné hier soir, dans le séminaire  "Comment habiter le monde en poète ?" qui a lieu cette semaine en Bretagne.

« En lisant un poème, nous entrons dans le temps et l’espace de notre existence »


«  Pour l’être humain, rien n’est naturel. Le naturel ne se trouve que dans un voyage où l’on se purge »


Marine Manouvrier
en direct de Dinard

lundi 10 avril 2017

Habiter le monde en poète

Aujourd'hui 10 avril, nous sommes 112 à nous être réunis pour essayer de travailler et comprendre ensemble comment habiter le monde en poète... 

Le séminaire a démarré de manière "fracassante" avec Fabrice Midal qui nous a lu un poème de Henri Michaux Portrait des Meidosems (si vous voulez le lire ou le relire, je vous recommande de le faire à voix haute ou - encore mieux - de vous le faire lire, c'est une étonnante expérience). 

Ce très long poème nous a d'emblée embarqués dans une expérience profonde d'écoute : 
un poème incroyablement concret, réel, qui balaie toutes les idées reçues sur la poésie qui essaieraient de la réduire à un divertissement esthétique...


Puis Hadrien France-Lanord a donné son premier enseignement : son propos est de nous faire voir en quoi la poésie fait apparaître les choses, dévoile la réalité, montre la vérité. De quelle manière la poésie donne lieu à l'existence en nous disposant à une ouverture au monde.

"Rien ne vous interdit d'entendre les mots qui peuplent notre monde" 



Cette belle phrase d'Hadrien France-Lanord est une invitation à écouter pour de bon durant cette semaine qui s'ouvre à nous, sous un soleil radieux, en Bretagne.

Marie-Laurence Cattoire
Dinard

mercredi 29 mars 2017

Méditer ou philosopher ?

Hadrien France-Lanord et Fabrice Midal, séminaire Éthique & Méditation.
En 2006, j'ai participé à mon premier séminaire de méditation co-enseigné par... un philosophe! Pas un philosophe qui vous explique que le Bouddhisme n'est pas une religion mais une philosophie, non, un philosophe occidental, qui nous dévoilait le monde Grec, Socrate, Aristote et Platon. Qui nous présentait le panthéon grec et le magnifique ouvrage de Walter Otto Les Dieux de la Grèce

Pour moi qui avais fait des études scientifiques ce fût un choc ! Inscrite là pour apprendre à méditer, j'ai de surcroît découvert comment apprendre à penser. Je ne parle pas tant de penser de manière intellectuelle ou conceptuelle, mais plutôt de voir le monde en ayant conscience du prisme que notre héritage occidental installe dans nos esprits. 

J'ai découvert aussi comment le monde grec a pensé la pure présence, la pleine présence que nous travaillons dans la méditation. Comment la philosophie occidentale établit son rapport à l'espace, au temps, au passé et à l'avenir... Des sujets éminemment passionnants qui m'ouvraient de nouvelles perspectives. 

Découvrir ainsi "mes" racines grecques a permis de m'ancrer plus solidement dans le monde.Être consciente d'où je viens me permet de comprendre où je vais et comment y aller.

Depuis, je ne manque plus aucun de ces séminaires organisés une fois par an. Ils forment un cercle vertueux : étudier la philosophie sur un séminaire de méditation donne de l'ampleur et de la profondeur à notre geste méditatif. Et méditer dispose à une ouverture d'esprit parfaite pour écouter pleinement la parole philosophique.

La philosophie est une manière d’essayer de comprendre comment habiter notre monde. Or cela résonne avec l’invitation de la méditation : trouver sa place sur cette terre et l’habiter pleinement.
Il faut dire que les philosophes que Fabrice Midal invite sont exceptionnels de pédagogie, de simplicité et d'humanité :  la force de ces séminaires est d’être absolument compréhensible par tous, que l’on aime la philosophie ou pas. Non parce que les enseignants vulgarisent le propos et “abaissent le niveau” mais parce que leur seul souci est de parler avec simplicité de notre existence et de ce qui peut nous libérer.

Le prochain séminaire, intitulé Comment habiter le monde en poète ? commence le 10 avril et sera co-enseigné par Fabrice Midal, qui parlera de la culture, et par le philosophe Hadrien France-Lanord. S'il reste des places je ne peux que vous recommander de vous inscrire, c'est une expérience étonnante qui risque de changer votre regard sur le monde.

Marie-Laurence Cattoire
Paris