samedi 16 décembre 2017

Moments de partage, notre nouveau blog

Retrouvez-nous sur le nouveau blog des intervenants. Chaque semaine nous y partageons notre expérience de la méditation au quotidien. Aujourd'hui Dominique Sauthier nous parle du vol des oiseaux migrateurs. Comment se relier à la tristesse et à la nostalgie ? ... lire la suite http://bit.ly/2olzjer

vendredi 6 octobre 2017

Bientôt un nouveau blog

Le blog des intervenants est entrain de se refaire une beauté :-)

Nous aurons le plaisir de vous faire découvrir sa nouvelle version d'ici quelques semaines avec beaucoup de nouveaux articles de nos intervenants sur la méditation au quotidien.

Merci d'avance de votre patience et de tous vos gentils messages reçus ces dernières semaines.

En attendant, suivez les informations sur l'École occidentale de méditation ici.


À très bientôt
Marie-Laurence Cattoire

dimanche 30 juillet 2017

Devenir vague, arbre, nuage

A la plage après une journée de chaleur. Il y a de belles vagues qui roulent et  font perdre pied. Comme quand j’étais enfant, je m’amuse à rouler dans les vagues, à me laisser transporter, chahuter. 

J’ai dix ans, je saute et je me lance joyeusement la tête la première dans les vagues, encore et encore, jusqu’à l’étourdissement, jusqu’à ce que le froid me ramène au soleil sur la plage. Sauter dans les vagues me rend joyeuse et vivante parce que tout mon corps et toute mon attention sont mobilisés, il n’y a pas la moindre parcelle de moi-même qui ne participe pas à la fête.  Instant de pure union entre le corps et l’esprit. 

Quand on pratique, le corps se pose, et par moment on se pose dedans. On est corps qui respire, et qui, immobile, perçoit les vagues de la réalité qui viennent affleurer ou bousculer. La joie ressentie, c’est celle, profonde, d’être immergé dans la vie du présent, de participer de ce présent.  

Pratiquer, c’est peut-être retrouver pour un moment un corps d’enfance, un corps qui n’est pas encore séparé, un corps qui peut être vague, arbre ou nuage.
 
Ce petit poème de Rilke, tiré de Vergers, m’évoque cette expérience du corps si mêlé à l’esprit que les frontières s’effacent et que le monde devient un.

Qu’il est doux parfois d’être de ton avis,
frère aîné, ô mon corps,
qu’il est doux d’être fort
de ta force,
de te sentir feuille, tige, écorce
et tout ce que tu peux devenir encore,
toi, si près de l’esprit.

Toi, si franc, si uni
dans ta joie manifeste
d’être cet arbre de gestes
qui, un instant, ralentit
les allures célestes
pour y placer sa vie. 

Dominique Sauthier
Genève

mercredi 26 juillet 2017

La voix de ma mère

L’image est de Klee, Senecio, 1922.
Dans le silence solitaire du dimanche d’un Paris déserté, une voix, même par téléphone, a une résonance forte.
Pas n’importe quelle voix non plus - il s’agit de la voix de ma mère.
L’objet de son appel est une question concrète,  quasiment administrative. Indépendamment du contenu, mon oreille est sensible au moindre grain du son de sa voix et je perçois immédiatement comment tout est en place, en moi, pour entrer en lien avec cette tonalité-là. 

Dans cet échange ‘concret’, tout y est, toute mon histoire, toute l’histoire de ma famille où parler doit servir à résoudre des choses concrètes et non pas à questionner par exemple (ou à se dire le bonheur de s’entendre, autre exemple). 

La distance m’a mise à l’abri de  ce mode d’être où tout est évalué à l’horizon de l’utile.

Ce matin-là, tout revient - ce que je représente pour elle à ce moment- là, le ‘non-conforme’, le ‘non-utile
, ‘pfuit , rayé de la carte d’un revers de main . 

J’imagine que les stratèges de guerre  devaient décider ainsi de la suppression d’un territoire qui les gênait.

La distance me met à l’abri et me permet aussi de broder un lien d’amour sans subir directement l’effacement de la carte des désirables.

Puis, relativisons. Ce que je viens d’éprouver, c’est le ton d’aujourd’hui. Simplement. Autrement dit, il n’y a pas que cela. 

Je pense aussi aux échanges de lettres. Les premières années de ma vie à Paris je n’avais pas de téléphone. 

Nous nous écrivions des lettres, avec ma mère.  Il y avait beaucoup d’amour dans ses lettres, même si c’était sous couvert de petites anecdotes du quotidien. Elle prenait le temps de s’asseoir pour écrire et de s’adresser entièrement à moi... peut-être que ça lui permettait de m’aimer sans être confrontée à l’écart entre « sa fille idéale » et la personne que j’étais ...

En outre, cette correspondance d’autrefois impliquait l’attente et une petite incertitude  car le courrier pouvait s’égarer. Et la poste n’accusait pas réception comme l’I-phone qui nous indique que le destinataire a lu le message.

L’attente, la distance, le jeu que ça crée dans une relation me semble précieux.

Quand il n’y a plus cette distance, ce jeu dans nos relations, où est l’espace de la solitude conjugué à l’amour ?
La correspondance le permettait. 

J’ai lu récemment à propos du poète Rainer Maria Rilke que dans cette forme de relation à distance il trouvait la conciliation idéale entre ses exigences de solitude et son besoin de l’autre - son besoin, aussi, d’aider l’autre.  Un an après avoir épousé Clara Westhoff, qui était sculpteur, Rilke et Clara  (surtout Rilke) comprenaient que seul le retour à la solitude permettrait à chacun de poursuivre son oeuvre. Leur abondante correspondance des premières années après le mariage montre que leurs liens étaient restés étroits.

Méditer, c’est goûter à la saveur de l’attente et bénéficier de l’espace que ça crée.
Chögyam Trungpa  préconise, pour la pratique,  de réserver un quart de l’attention  à l’attente.

De quelle attente s’agit-il ?

Elisabeth Larivière
Paris

mardi 25 juillet 2017

Comme un ours endormi qui reçoit un seau d’eau froide en pleine figure

Au mois d’avril dernier, pour la première fois en 10 ans, j’ai omis de méditer pendant une semaine. Avec deux enfants en bas âge à la maison (6 mois et 2 ans et demi), 2 charges de cours à l’université, un déménagement avec rénovation importante en cours, des cours à préparer, un chapitre de thèse à écrire – je fus littéralement happé par l’affairement.

Le rappel à méditer m’est venu par obligation : en planifiant ma journée, je réalisai que je devais donner une causerie le soir-même pour la séance hebdomadaire de méditation de l’École occidentale de Montréal.

En fin de journée, n’ayant pas eu le temps de préparer quoi que ce soit, je me dirigeai vers le centre de pratique de l’École à Montréal. 

Une fois la salle installée et les méditants en place, je me posai sur le coussin de l’enseignant et sonnai 3 coups de gong pour ouvrir la séance. Dès les premières secondes de pratique, une évidence brulante s’imposa : j’étais droit et ancré, solide comme un roc, souple comme un roseau. Comme un ours endormi qui reçoit un seau d’eau froide en pleine figure, je me réveillais brusquement d’une nuit d’oubli. La noblesse époustouflante de la posture qu’il m’arrive parfois de prendre à la légère, se montrait dans sa plénitude et m’invitait au sobre courage.

Sans aller jusqu’à conseiller d’oublier la pratique pendant une semaine, les moments d’oubli, de fuite ou d’errance au seuil du dharma peuvent aussi être intégrés à la pratique et nous rappeler quelques évidences oubliées. Entre autres l’importance de l’institution (ici des pratiques hebdomadaires dans le cadre de l’École occidentale de Montréal) et de l’obligation qu’elle induit et qu’elle impose.

En mettant l’accent sur l’expérience personnelle comme manière de se relier à l’essentiel, la modernité peut parfois nous faire oublier la justesse de l’obligation. Mais c’est souvent par des détours et des errances salutaires de ce type, qu’il nous est aujourd’hui possible de réentendre quelques évidences balayées par l’air du temps.

Philippe Blackburn
Montreal

lundi 24 juillet 2017

Nos pensées ne sont-elles que des trains qui passent ?

J’avais envie de trouver une citation qui dirait quelque chose de l’expérience du temps dans la pratique de la méditation et, par un heureux hasard, cette citation de Patti Smith dans M Train s’est offerte à moi.

«  J'ai refermé mon carnet et suis restée assise dans le café en réfléchissant au temps réel. S'agit-il d'un temps ininterrompu ? Juste le présent ? Nos pensées ne sont-elles rien d'autre que des trains qui passent, sans arrêts, sans épaisseur, fonçant à grande vitesse devant des affiches dont les images se répètent ? On saisit un fragment depuis son siège près de la vitre, puis un autre fragment du cadre suivant strictement identique. Si j'écris au présent, mais que je digresse, est-ce encore du temps réel ? Le temps réel, me disais-je, ne peut être divisé en sections, comme les chiffres sur une horloge. Si j'écris à propos du passé tout en demeurant simultanément dans le présent, suis-je encore dans le temps réel ? Peut-être n'y a-t-il ni passé ni futur, mais seulement un perpétuel présent qui contient cette trinité du souvenir. J'ai regardé dans la rue et remarqué le changement de lumière. Le soleil était peut-être passé derrière un nuage. Peut-être le temps s'était-il enfui ? »

Ce que j’aime dans cette écriture si reconnaissable de Patti Smith, c’est que la forme rejoint le contenu. Elle nous fait faire l’exacte expérience de ce qu’elle décrit. En quelques lignes, nous voilà pris dans le rythme incessant des pensées, dans cette sensation du sans-repère temporel, avec pourtant ce retour à l’ancrage du présent, insaisissable et néanmoins toujours là.

J’aime qu’elle dise que le temps réel ne peut être divisé en sections. N’est-ce pas ce que nous découvrons dans la pratique de la méditation? L’expérience est entière, à la fois une, multiple, indivisible, dépassant toute catégorie. 

L’été, la pratique de la méditation égrène les journées des stages et séminaires de l’École occidentale de méditation, c’est l’occasion de s’y abandonner plus entièrement et qui plus est dans un espace qui lui est tout dédié.

Marine Manouvrier
Bruxelles

dimanche 23 juillet 2017

Écouter, c’est intérioriser le son, c’est respirer avec lui

Une des façons de dire comment la méditation nous transforme, c'est de montrer comme elle développe notre capacité d’écoute, au propre comme au figuré.

La manière dont René Farabet* parle de l’écoute dans ce texte entre pour moi en résonance avec le geste de la méditation, qui nous invite à nous laisser simplement traverser. Par les sons, les autres perceptions, les pensées et tous les phénomènes qui nous entourent.

« Dans un premier temps, « être à l’écoute », c’est se faire co-présent au monde, plonger dans un milieu et s’ouvrir à ce qui advient. Du corps-éponge, c’est l’oreille qui est au plus aigü de la perception, elle est le « sens préféré de l’attention », disait Valéry, un point de guet et de veille à la frontière du champ visuel. Elle ne s’abîme pas dans une activité purement contemplative, face à des corps étrangers lui faisant face, elle s’ouvre pour les absorber et les laisser glisser en elle. L’écoute, même lorsqu’elle est « flottante » (cf. Freud), et neutre, vacante, ou rêveuse, voire distraite, ne se résout pas en la simple homologation d’un dehors, elle n’entraîne pas une disparition ou un exil de soi, elle favorise, au contraire, le retour à soi, mais enrichi de l’autre. Écouter, c’est intérioriser le son, c’est respirer avec lui, c’est le laisser profondément résonner en soi, et déposer ses empreintes sur les multiples membranes de notre caverne organique : toute écoute, pourrait-on dire, est pariétale, physiologiquement ancrée. »

Clarisse Gardet
Paris

* René Farabet, mort il y a quelques semaines, était un grand homme de radio. Il a été le principal producteur des Ateliers de création radiophonique de France Culture.

samedi 22 juillet 2017

L’homme qui ne voulait pas changer le monde mais affirmer ce qui est !

Lors d’une de ses dernières causeries consacrées, les mercredis soir de la saison 2016/17, au rapport que nous entretenons (ou non) avec notre corps, Fabrice Midal, parlant ce soir-là du sens que nous pouvons donner à ce que signifie « être touché », évoqua l’exposition consacrée du 26 avril au 14 août 2017, au photographe américain Walker Evans, au Centre Pompidou. 

Je ne connaissais pas du tout ce photographe, mais l’enthousiasme avec lequel Fabrice évoqua ce soir-là son travail me donna envie d’aller voir l’exposition, bien que j’en aie appris l’existence quelques jours avant de quitter Paris pour les vacances d’été, puisque j’avais écouté la causerie en différé, plusieurs semaines après sa première diffusion en direct. Je me rendis donc à Beaubourg un samedi soir, deux heures avant la fermeture. Les salles étaient presque vides.

Fabrice avait conseillé de ne pas lire les légendes des photos. Mais je compris vite que l’artiste était notamment connu comme le photographe des années 30, témoin de la grande crise qui toucha alors les États-Unis. Au cours de l’exposition, on peut effectivement voir des portraits de paysans, de mineurs, d’enfants des rues, et l’on sent la précarité de leur condition... De là à faire de Walker Evans une sorte de super photographe journalistique, soucieux de dénoncer les malheurs et les injustices de son pays, il n’y a qu’un pas… Pourtant, à la fin de l’exposition, est proposé un film documentaire où l’on entend le photographe démentir formellement la volonté de se mettre au service de quelque cause que ce soit, et même refuser d’être embrigadé à des fins de « propagande ». « Je ne voulais pas changer le monde », précise Evans, mais « affirmer ce qui est »

Mais ce qui apparaît alors rétrospectivement ( puisqu’on voit le documentaire à la fin de l’exposition et donc, après avoir contemplé les photographies ), c’est qu’en « affirmant ce qui est », précisément tout change ! Affirmer ce qui est, c’est déjà changer les choses. C’est changer les choses ! En l’occurrence, de quelle noble manière. Pas le moindre pathos dans ces photographies, mais une délicatesse, un tact infinis pour nous montrer les visages noircis, sans doute par le charbon, de ces mineurs condamnés à mourir trop tôt à la tâche, la tombe d’un enfant, réduite à un petit monticule de terre à peine visible et, devine-t-on, bientôt définitivement aplani : l’enfant a-t-il même existé ? Justesse du regard pour dire parfois la violence à l’état pur, sans la moindre emphase. Rien à ajouter pour montrer cette violence que d’affirmer, en l’occurrence en image, ce qui est.
Les visages de ces cultivateurs, de ces mineurs, de ces propriétaires terriens, de ces enfants, montrés comme ils sont, frappent, toutes classes sociales confondues, par leur magnifique dignité. En photographiant ces travailleurs, ces hommes et ces femmes généralement modestes et de provenances diverses, Evans les porte à existence, non pas en les présentant dans des circonstances exceptionnelles, mais en affirmant leur présence ordinaire et en faisant ainsi apparaître leur humanité profonde.

J’ai été frappée, dans une série de portraits sans doute pris dans le métro, par celui d’une jeune fille, dont, après de longues minutes de contemplation, j’ai fini par me dire qu’elle devait être porteuse de ce qu’on appelle aujourd’hui une « trisomie 21 ». Mais le portrait est d’autant plus remarquable qu’il faut en effet un certain temps, pour apercevoir ce « handicap ». L’on voit d’abord un regard qui vous regarde. Une innocence qui vous voit. Bref, un être humain et pas du tout une « personne handicapée ». Non parce que le photographe aurait choisi le « meilleur angle » pour que la particularité de cette jeune fille soit aussi peu apparent que possible. Quand j’ai brusquement compris que cette jeune fille était très probablement porteuse d’un « handicap mental », j’ai justement été frappée par le fait que, ne dissimulant rien de cette caractéristique, Evans avait réussi à faire en sorte que l’humanité de la jeune fille supplante ce qu’on nommerait, avec tant d’indélicatesse, sa « déficience ». 

La chose est d’autant plus impressionnante que la photographie date du début du XXème siècle, où sévissaient les théories raciales les plus délétères. On parle encore aujourd’hui dans les pays anglo-saxons du syndrome de Down, qui avait identifié cette singularité, mais on oublie que ce médecin était un théoricien du racisme, qui avait imaginé que, ce que l’on sait être à présent un désordre chromosomique correspondait à la reviviscence, au sein de la race blanche, de formes archaïques de l’humanité. En France, on parlait, pour les mêmes raisons, de « mongoliens » et l’expression est loin d’avoir complètement disparu. Elle n’était évidemment élogieuse ni pour les Mongols auxquels elle faisait allusion ni pour les « mongoliens », pris dans le même mouvement de radicale déconsidération où la personne est réduite à un manque.

Si j’ai été particulièrement saisie par ce portrait, c’est sans doute que, comme certains le savent peut-être, j’ai écrit, voici quelques années : Handicap, pour une révolution du regard. Et bien ici, cette révolution est accomplie : on ne voit plus le handicap, mais seulement la personne qui a, entre autres caractéristiques, celle de vivre avec une trisomie 21. Il faudrait, pour accomplir la révolution dont je rêvais, être capable de dire en mots, de faire en comportement, ce que Evans fait en image… Et ce qui vaut pour le portrait de cette jeune fille, vaut pour celui de toutes les autres personnes photographiées, « affirmées », aurais-je envie de dire, pour employer ses propres mots, par Evans. Montrées comme ils sont, sans effets de camouflage ou de transformation, les êtres humains apparaissent… comme tels. Affirmés, les femmes et les hommes photographiés par Evans le sont éminemment, tant leur présence nous saute aux yeux ! 

Appliqué aux êtres humains affirmer ce qui est, c’est-à-dire affirmer ceux qui sont, c’est leur rendre leur dignité, leur magnifique présence. Autrement dit, plus radical que le projet de changer les choses, il y aurait la possibilité d’y « parvenir » en les affirmant. Walker Evans ne voulait pas changer le monde mais il révolutionne notre regard. 

L’on comprend évidemment pourquoi Fabrice Midal évoqua le travail de ce photographe pour essayer de « définir » ce que signifie être touché, qu’il tint à distinguer de ce que l’on appelle « l’émotion ». Ici, pas de séisme émotionnel en effet, même si plusieurs photographies font venir les larmes aux yeux, mais le sentiment d’être en rapport entier avec les femmes et les hommes que nous sommes invités à rencontrer. 

De fait, nous sommes d’autant plus touchés que se produit ce que Roland Barthes, dans La chambre claire, le beau livre qu’il a consacré à la photographie, dit des photos lorsqu’elles sont des chefs d’œuvre : la présence de ceux qui nous regardent est à la mesure de leur absence, souvent définitive. Ils sont devant nos yeux, mais ils ne sont plus là. Nous les savons disparus. Même lorsque les modèles sont encore vivants, ils ne sont plus comme ils « sont » sur la photographie. À plus forte raison est-ce le cas, quand nous voyons quelqu’un qui n’est plus. De même, dans les photos d’Evans, les portraits sont saisissants de présence par le fait même que les personnes qui nous regardent s’en sont allées. Qu’ils aient été pourtant une fois, ce jour-là, face au regard du photographe, nous apparaît comme irrévocable.

À tous égards nous sommes donc bien touchés…et comme grandis par l’apparition de l’humanité partagée avec tous ceux qui, à travers ces magnifiques portraits, nous dévisagent, et ce faisant, nous rendent notre propre visage. 
   

Danielle Moyse
Chenevières

jeudi 20 juillet 2017

Nostalgie

Des amitiés qui se brisent, des liens qui se distendent avec des personnes autrefois si proches, des êtres chers qui disparaissent, la maladie, la vieillesse ; nous avons tous à passer par ces épreuves douloureuses. 

Parfois on cherche à fuir la souffrance, à se réfugier dans la nostalgie, à ressasser. On se repasse inlassablement le film des jours heureux, ce qui nous fait du bien et du mal en même temps.

Je crois que la nostalgie est une stratégie pour ne pas faire véritablement l’épreuve de la souffrance en nous éloignant du présent. C’est aussi une réaction face à la vieillesse qui vient de façon inéluctable et que nous trouvons insupportable. J’ai souvent entendu ma mère dire « ah si j’avais vingt ans de moins ! » ou « Mon Dieu que le temps passe ! » ; exclamations douloureuses face à l’absurdité de la vie.

Depuis que je pratique la méditation j’ai découvert une manière très différente de traverser les épreuves douloureuses. C’est ce que Chögyam Trungpa appelle le cœur authentique de la tristesse.  Faire l’épreuve de la douleur, au présent, dans une sorte de tristesse mêlée de tendresse. Même si elle n’est pas coupée du passé, cette tristesse n’est pas ressassement ni nostalgie. Cette tristesse-là est au fond très proche de la joie. 

Quelques mots de  Chögyam Trungpa à ce propos:
« Si nous cherchons le cœur éveillé, si nous creusons dans notre poitrine pour le trouver, nous n'y découvrirons rien d'autre qu'une sensation de tendresse. C'est doux et endolori, et si nous ouvrons les yeux sur le monde, nous éprouvons une immense tristesse. Cette tristesse ne vient pas de ce qu'on nous ait maltraités. Nous ne sommes pas tristes parce que quelqu'un nous a insultés ou que nous nous sentons appauvris. Au contraire, cette expérience de tristesse est inconditionnelle. Elle a lieu parce que notre cœur est complètement écorché. »
C'est cette expérience d'un cœur triste et tendre qui donne naissance au courage.

Xavier Ripoche
Paris

mardi 18 juillet 2017

Le fumier et le jardin

Lors de la dernière rencontre trimestrielle de Fabrice Midal avec les membres amis de l’École occidentale de méditation, Sur le chemin,  Fabrice a montré comment nous étions constamment pris par cette idée que quelque chose en nous n’allait pas, comment nous cherchons toujours à nous améliorer.

Fabrice a également pointé le fait que vouloir s’améliorer, c’est tout à la fois ne pas pouvoir être pleinement soi et ne pas trouver sa place.

La pratique de la méditation nous invite à revenir à la maison et à se foutre la paix, comme le dit Fabrice.

Ceci m’a fait penser à un de mes passages préférés de l’ouvrage Le mythe de la liberté de Chögyam Trungpa . Ce dernier dit ceci :

« La méditation ne consiste pas à essayer d’atteindre l’extase, la félicité spirituelle ou la tranquillité, ni à tenter de s’améliorer.  Elle consiste simplement à créer un espace où il est possible de déployer et défaire nos jeux névrotiques, nos auto-illusions, nos peurs et nos espoirs cachés.  Nous produisons cet espace par le simple recours à la discipline consistant à ne rien faire.  A vrai dire il est très difficile de ne rien faire (…) Ainsi la méditation est elle un moyen de brasser les névroses de l’esprit et de les utiliser comme partie intégrante de la pratique. Pas plus que le fumier, nous ne jetons ces névroses au loin ; au contraire, nous les répandons sur notre jardin, et elles deviennent partie de notre richesse. »

C’est un changement de perspective radical : nous sommes bien tels que nous sommes et de plus, nous sommes riches de plein de choses, fumier compris.

Et chacun peut ainsi trouver sa place, dans la singularité de son propre jardin.  

Et vous, il ressemble à quoi votre jardin ?  Bien net comme un jardin à la française ? Plus nature comme le jardin à l’anglaise ? Ou tout simplement de jolies fleurs des champs ?


Anne Vignau
Saint-Gratien