jeudi 6 juillet 2017

La vie, maître de méditation par excellence !

Vendredi 19 mai 2017

L’École occidentale de méditation et La vie ont organisé à la salle Pleyel une journée consacrée à la méditation autour du thème
« Vers une santé corps/esprit ». 
Quel programme ! Mais trop de travail m’a fait différer l’inscription à cette journée. Et la veille au soir, je pense que je n’aurai pas le courage d’y aller. 

Pourtant, le matin même, à 7 heures, je me décide. J’arrive, écoute avec intérêt les premiers intervenants, qui évoquent les effets de la méditation sur la santé, à partir de leurs expériences thérapeutiques dans le domaine de la psychiatrie ou de la cancérologie. Je me sens déjà très heureuse de participer à cette journée ! 

Puis arrive soudain Nicole Bordeleau qui est venue raconter l’histoire de sa guérison. 

Ce qui m’avait permis de résister à la fatigue jusque-là, c’était la réflexion. D’un seul coup, je suis projetée à un tout autre niveau d’attention, par la présence même de cette intervenante québécoise qui parle de son existence avec une entière spontanéité, et sans aucun exhibitionnisme : Elle est née dans une famille marquée par l’alcoolisme,  a été toxicomane, dépendante à la cocaïne, s’en est sortie, puis, au moment où la vie semblait reprendre son cours, elle apprend qu’elle est atteinte par une Hépatite C. Dans les années 90, où on lui annonce cette catastrophe, il n’y a pas de traitement.
Ce matin du 19 mai, face à la salle comble de Pleyel, Nicole ne parle pas aussitôt de méditation, mais toute sa personne et son histoire ne parlent que de cela. Vêtue d’une veste blanche, seule au milieu de la grande scène du théâtre, elle emplit soudain l’espace d’une émotion palpable. Nous sommes avec elle, plus de vingt-cinq ans plus tôt.

Avec elle, nous sommes en effet sous le choc de l’annonce qui la terrasse. Et le choc se traduit, comme bien souvent dans ces situations, par un immense : « POURQUOI ? ». Lequel ne tarde pas à se démultiplier : « Pourquoi, pourquoi moi, pourquoi maintenant ? » Tout en Nicole est braqué, raidi contre la perspective d’une maladie grave, incurable, et stigmatisante puisqu’elle fait partie de ces pathologies qui, comme le sida, font peser l’opprobre sur ceux qui en sont atteints, parce loin d’être considérés comme des victimes, on les juge souvent responsables de leur sort.
Or, Nicole avait précisément tout fait pour échapper à la cocaïne ! Elle ne « méritait » donc pas cela ! Et pourtant, brusquement : le gouffre !  Tout l’être de la jeune femme n’est que refus de l’épreuve qui lui est imposée.
Mais rapidement, se fait jour dans son esprit, que le « pourquoi », ou le déni du réel, est une impasse. Quelque chose se déplace alors : la question « pourquoi ? » fait doucement place à la question  « comment ? » : « Comment continuer à travailler, à payer les traites et les frais divers, comment affronter la maladie ?» Portée par les efforts de réponse à ces questions, la vie s’est alors un peu remise en mouvement…
Mais un pas de plus est encore nécessaire : Si le comment a progressivement supplanté le pourquoi qui fige tout, il n’en a pas moins différé la vie… au moment improbable d’une future guérison. Quand la maladie sera vaincue,  alors il sera possible de recommencer à vivre ! Mais le sera-t-elle ? Et est-ce à dire que, en attendant, il n’y a plus de vie, et que dans l’hypothèse fort possible d’une absence de guérison, tout le temps qui reste ne sera pas vécu ?

C’est ici que se produit, dans la vie de Nicole, comme pour les auditeurs de ce matin-là à la salle Pleyel, une salutaire révélation ! Depuis l’annonce de la maladie, Nicole n’est plus assurée d’aucun lendemain. Mais est-ce si exceptionnel ? Nicole aperçoit soudainement l’évidence suivante laquelle elle n’est pas la seule dans cette situation, et que c’est plutôt le lot commun ! À cette différence près que les humains qui ne sont pas sous la menace d’une maladie mortelle se plaisent à l’oublier allègrement. Il est une chose qu’ils savent d’un savoir si abstrait qu’il confine à l’ignorance, à savoir, que tout se joue dans l’instant. Il n’y a pas d’après ! Et s’il doit y en avoir un, il sera d’autant plus riche, qu’on n’aura pas déporté sur cet ancien futur l’intérêt que nous aurions dû réserver au seul moment dont, tous autant que nous sommes, nous soyons assurés même s’il est difficile : le moment présent. 

D’où le titre du livre de Nicole : Vivre, c’est guérir !
Quel titre, Ah mais quel titre !! Vivre non pas dans l’espoir du moment où l’on pourra retourner à la « normale », mais s’en tenir à la situation comme elle se donne, y compris dans sa brutalité, à chaque instant ! Moment après moment !
La maladie conviait ainsi Nicole à revenir à la condition qui lui était faite, sans échappatoire possible. Exactement comme y invite la méditation ! Laquelle devait précisément permettre à Nicole d’apprivoiser la violence de cette situation. La « guérison » ne pouvait être qu’à ce prix.
Dans le silence d’une densité saisissante de la salle Pleyel, je me suis dit qu’un pareil témoignage devait absolument être entendu par plusieurs de mes amis atteints de maladies très graves, mais qu’il pouvait également être une aide puissante pour n’importe qui ! Vivre, c’est guérir, cela doit être entendu avec toute l’amplitude possible. Vivre, c’est-à-dire vivre comme s’il n’y avait que le moment actuellement donné, c’est guérir si on est atteint d’une maladie, et même si on finit par en mourir un jour ! Mais ce n’est pas tout : Vivre, c’est guérir, même si on ne fait pas l’objet d’un diagnostic médical fatal ! 

Car toutes nos vies sont atteintes par cette forme de déperdition qui nous pousse à les renvoyer au lendemain ! Elles sont, en ce sens, toutes malades d’inconsistance. « Qu’on observe ses pensées, écrit Pascal, on les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir, et il est inévitable qu’espérant toujours d’être heureux, nous ne le soyons jamais ». Or, ce que nous disait Nicole ce matin-là, c’est qu’on ne peut pas attendre de vivre idéalement pour vivre ! Qu’on ne peut pas attendre d’être dans la situation rêvée (pour elle à ce moment-là, avoir vaincu l’hépatite C ) pour se mettre à l’œuvre de sa propre vie. On ne peut que prendre la vie, comme elle est, à bras de corps, sur le champ. Nicole ne pouvait être assurée d’aucun lendemain. Mais les « bien portants » non plus ! Et pourtant, eux aussi remettent leur vie à plus tard…

Autrement dit, il y a une guérison d’avant la guérison des symptômes.  Sur le plan médical, elle ne devait survenir pour Nicole que 25 ans plus tard ! Vivre, c’est guérir, cela peut même être entendu de la façon suivante : vivre, c’est guérir, quand bien même, organiquement, on ne reviendrait pas entièrement ou vraiment à la normale.   
 Prendre sa vie à bras le corps y compris lorsqu’elle vous chahute, c’est guérir ! Ne pas être en bonne santé, c’est projeter, comme nous le faisons tous si souvent, la vie à plus tard.
Vous aurez évidemment reconnu, là encore, ce que nous propose la méditation : revenir à la présence du présent ou au présent de la présence ! Mais quand la vie force à penser qu’ il n’y a rien d’autre que maintenant (et qu’on n’a donc plus que jamais envie de rêver les yeux ouverts ou de se projeter ailleurs !), c’est à cet instant même que la méditation est la plus précieuse, pour soutenir la difficulté de l’épreuve. 

Nicole parla alors non seulement des pratiques méditatives qui lui permirent de se relier au souffle qui nous lie à la vie, mais aussi des pratiques de yoga qui l’ invitèrent à faire de même. Dans l’expérience la plus tragique en effet, le souffle ne nous trahit pas. Dans l’angoisse, la révolte ou la colère, il est le flot qui nous porte toujours. Yoga et méditation de pleine présence ont donc été pour Nicole, les premiers soutiens qui l’ont réconciliée avec elle-même.
Mais quand on est atteint d’une maladie potentiellement mortelle, contractée lors de conduites addictives héritées d’une famille où l’alcoolisme avait antérieurement déjà fait des ravages, il fallait aussi s’extraire de la spirale de maltraitances subies, mais aussi intériorisées. Si les pratiques de yoga et de méditations étaient essentielles, prendre soin de soi avec douceur était également nécessaire. Elles n’étaient que le prélude à la tendre compassion à l’égard de soi et des autres qui s’imposait. Oser s’aimer comme on aime parfois quelqu’un d’autre !
C’est alors que Nicole Bordeleau s’est mise à guider une pratique de bienveillance aimante avec une ferveur touchante. J’ai été frappée non seulement par l’ardeur avec laquelle nous avons été emportés par notre guide, mais par le déroulement de l’exercice choisi pour nous faire toucher à la bienveillance dont elle est manifestement habitée. Tout d’abord, les spectateurs (qui n’étaient plus alors de simples spectateurs !) ont été priés de penser à un être qu’ils avaient inconditionnellement aimé. Ils pouvaient choisir un humain ou un animal. Puis, sans transition, ils ont été invités à laisser se superposer à l’image de cet être cher, leur propre image, puis à laisser venir celle d’un être moins apprécié. Le souvenir que je garde de ce magnifique moment, c’est celui d’une unité, d’une absence de séparation : l’image de l’être aimé, de la sienne propre, ou d’un être avec lequel les relations furent douloureuses constituaient un même tout. Que l’image de l’un puisse s’effacer, en toute douceur, au bénéfice de l’autre paraissait finalement naturel. Les images des uns et des autres se fondaient les unes dans les autres dans une même lumière de bienveillance.

À peine avions nous fini cette pratique, que ma voisine s’est levée, suivie de plusieurs autres spectateurs, puis de toute la salle. Nous avons applaudi debout pendant de très longues minutes. Une muraille venait de tomber : autour de moi des gens qui ne se connaissaient pas une heure plus tôt se sont mis à parler. 

Après cela, la pause s’imposait. Je suis descendue au rez-de-chaussée où en quelques minutes tous les exemplaires de Vivre, c’est guérir ! ont été vendus. Je l’ai acheté avec l’intention de le donner à mes amis malades.

Dans son livre, Nicole, s’appuyant sur des recherches scientifiques, parle notamment de la nécessité de ne pas faire de la guérison un objectif.  « Selon Stephen Levine, écrit-elle, pour guérir, on doit abandonner tout attachement excessif à l’espoir de voir la « guérison » se produire comme on le désire. Toute volonté compulsive de guérir dirige notre attention non pas sur la guérison, mais sur la maladie. » 

En lisant cela, j’ai pensé à l’inespoir ( qui diffère radicalement du désespoir ) dont nous parle C. Trungpa dans sa Folle sagesse. « L’essence de la folle sagesse, c’est qu’on ne possède aucun idéal ou programme stratégique, on est simplement ouvert. » Car, « seul le renoncement à nos projets instaure l’état positif, certain, ultime, c’est-à-dire la prise de conscience que nous sommes déjà des êtres éveillés. » 

Quand on cesse de faire de la guérison un projet, la guérison peut commencer.
Il semble bien que, désormais libérée de toute atteinte par l’hépatite C depuis deux ans, Nicole ait fini par guérir en tous les sens du terme.
Interrogeant Arnaud Desjardins, Emmanuel, son fils, lui demande :
« Toi même, tu es « libéré » ou « éveillé » ? Arnaud lui répond : « Je suis guéri. »
Il est donc une guérison au delà-même du rétablissement de la santé.

Merci à L’École occidentale de méditation, à tous ses bénévoles, et à La Vie d’avoir rendu possible une telle journée.  C’était magnifique de voir ainsi vivre l’École hors de l’École ! 


Danielle Moyse
Chennevières





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