mercredi 26 juillet 2017

La voix de ma mère

L’image est de Klee, Senecio, 1922.
Dans le silence solitaire du dimanche d’un Paris déserté, une voix, même par téléphone, a une résonance forte.
Pas n’importe quelle voix non plus - il s’agit de la voix de ma mère.
L’objet de son appel est une question concrète,  quasiment administrative. Indépendamment du contenu, mon oreille est sensible au moindre grain du son de sa voix et je perçois immédiatement comment tout est en place, en moi, pour entrer en lien avec cette tonalité-là. 

Dans cet échange ‘concret’, tout y est, toute mon histoire, toute l’histoire de ma famille où parler doit servir à résoudre des choses concrètes et non pas à questionner par exemple (ou à se dire le bonheur de s’entendre, autre exemple). 

La distance m’a mise à l’abri de  ce mode d’être où tout est évalué à l’horizon de l’utile.

Ce matin-là, tout revient - ce que je représente pour elle à ce moment- là, le ‘non-conforme’, le ‘non-utile
, ‘pfuit , rayé de la carte d’un revers de main . 

J’imagine que les stratèges de guerre  devaient décider ainsi de la suppression d’un territoire qui les gênait.

La distance me met à l’abri et me permet aussi de broder un lien d’amour sans subir directement l’effacement de la carte des désirables.

Puis, relativisons. Ce que je viens d’éprouver, c’est le ton d’aujourd’hui. Simplement. Autrement dit, il n’y a pas que cela. 

Je pense aussi aux échanges de lettres. Les premières années de ma vie à Paris je n’avais pas de téléphone. 

Nous nous écrivions des lettres, avec ma mère.  Il y avait beaucoup d’amour dans ses lettres, même si c’était sous couvert de petites anecdotes du quotidien. Elle prenait le temps de s’asseoir pour écrire et de s’adresser entièrement à moi... peut-être que ça lui permettait de m’aimer sans être confrontée à l’écart entre « sa fille idéale » et la personne que j’étais ...

En outre, cette correspondance d’autrefois impliquait l’attente et une petite incertitude  car le courrier pouvait s’égarer. Et la poste n’accusait pas réception comme l’I-phone qui nous indique que le destinataire a lu le message.

L’attente, la distance, le jeu que ça crée dans une relation me semble précieux.

Quand il n’y a plus cette distance, ce jeu dans nos relations, où est l’espace de la solitude conjugué à l’amour ?
La correspondance le permettait. 

J’ai lu récemment à propos du poète Rainer Maria Rilke que dans cette forme de relation à distance il trouvait la conciliation idéale entre ses exigences de solitude et son besoin de l’autre - son besoin, aussi, d’aider l’autre.  Un an après avoir épousé Clara Westhoff, qui était sculpteur, Rilke et Clara  (surtout Rilke) comprenaient que seul le retour à la solitude permettrait à chacun de poursuivre son oeuvre. Leur abondante correspondance des premières années après le mariage montre que leurs liens étaient restés étroits.

Méditer, c’est goûter à la saveur de l’attente et bénéficier de l’espace que ça crée.
Chögyam Trungpa  préconise, pour la pratique,  de réserver un quart de l’attention  à l’attente.

De quelle attente s’agit-il ?

Elisabeth Larivière
Paris

1 commentaire:

  1. chère Elisabeth,
    Merci pour ce post. Ce que tu écris me fait penser à la différence entre vérification et vérifiement qu'a développé François Fédier au cours du séminaire Improvisation. La vérification est de l'ordre de la fabrication. Le vérifiement est quelque chose de plus plein et d'accessible. Vérifiement de la posture par exemple. Mes parents aussi sont dans la vérification en permanence. C'est sûrement notre époque qui veut cela.
    Je t'embrasse
    Alexis Mouret

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